Le Kouilou fait bloc derrière ses artisans
À Loango, la salle du Conseil départemental bruissait d’une effervescence inhabituelle. Sous les boiseries qui rappellent l’histoire marchande de la côte, près d’une centaine d’artisans venus de Diosso, Matombi, Mvouti ou encore Madingo Kayes ont joint leurs voix aux représentants des administrations, des consulats et des chambres consulaires. L’ambition affichée par la délégation consulaire départementale du Kouilou, créée en 2025, se veut claire : faire de la petite fabrication locale un pilier de la diversification économique voulue par le chef de l’État Denis Sassou Nguesso. « Nous devons transformer la débrouille en véritable chaîne de valeur », résume son président, Edgar Hardy, dans une déclaration qui fait écho aux orientations gouvernementales (allocution, 1ᵉʳ août 2026).
La présence de Célestin Louembe, représentant du préfet, de Bienvenu Makosso pour le Conseil départemental et du consul de Malte, Luca Fazio, conférait à la rencontre un parfum diplomatique qui n’a pas échappé aux participants. Ce front commun a envoyé aux artisans un signal simple : leurs savoir-faire dépassent désormais le cadre folklorique pour devenir un enjeu stratégique, d’autant que le Kouilou concentre à lui seul près de seize pour cent des effectifs artisanaux nationaux, selon la Direction générale de l’artisanat.
Formalisation juridique : de l’atelier à l’entreprise
Premier constat dressé par les experts : beaucoup de créateurs demeurent invisibles aux yeux de la loi. « Sans statut, point de subvention ni de marché public », insiste Martin Patrick Anfoula, greffier en chef du tribunal de commerce de Pointe-Noire. Les discussions ont démystifié la palette de statuts existants, de l’entreprise individuelle à la coopérative, en passant par la SARL unipersonnelle, souvent méconnue des petites unités familiales.
Gaspard Massoukou, directeur départemental de l’Agence congolaise pour la création d’entreprises, a d’ailleurs rappelé que l’immatriculation peut désormais se faire en quarante-huit heures grâce à la plate-forme numérique de l’ACPCE, « une avancée qui réduit drastiquement les coûts d’entrée ». Pour les artisans, cette étape vers la légalité ouvre la porte aux marchés structurés, mais aussi à la protection de la propriété intellectuelle, cruciale dans la bijouterie et la couture où les modèles sont aisément copiés.
Financements et formation : un écosystème en gestation
Le second panel s’est mué en séance de déminage des idées reçues sur l’accès au crédit. Mary Serge Maurille Ngamou, qui pilote l’agence départementale du Fonds national pour l’emploi et l’apprentissage, a détaillé les guichets mis en place au sein du Fonea, tandis que Benoît Mangala, représentant de la Chambre consulaire de Pointe-Noire, insistait sur le rôle du Fonds d’impulsion, de garantie des entreprises et de l’artisanat dont l’enveloppe atteint quarante milliards de francs CFA cette année.
Pour illustrer l’impact de ces dispositifs, Luca Fazio a évoqué l’invitation lancée par Malte à une délégation congolaise lors d’un salon méditerranéen consacré aux métiers d’art. « Une vitrine européenne peut doper le chiffre d’affaires annuel d’une coopérative de vannerie de plus de cinquante pour cent », avance le diplomate, chiffres de la Chambre de commerce maltaise à l’appui.
En parallèle, la DCDK a annoncé un calendrier de sessions pratiques : marketing digital, normes qualité ISO adaptées aux micro-structures et rudiments de gestion comptable. Les inscriptions, gratuites pour les six prochains mois, visent à toucher au moins trois cents artisans, afin de créer un noyau dur de formateurs relais dans chaque district.
L’artisanat comme levier de résilience territoriale
Au-delà des discours, les allées d’exposition dressées devant la salle de conférence ont illustré la diversité des savoir-faire : noix de coco travaillée en objets design, tissus façonnés en tenues urbaines, confitures issues des vergers de Mvouti. Autant de micro-productions encore cantonnées aux circuits informels mais promises à un élargissement si la chaîne de valeur est sécurisée.
Le préfet, dans un message lu par son représentant, a rappelé que le Plan national de développement 2022-2026 mise sur les industries créatives pour générer dix mille emplois non extractifs supplémentaires. Une projection réaliste, juge l’économiste Élise Milandou, tant « la demande intérieure pour des produits localement identifiables s’accroît chez les jeunes urbains ».
La DCDK s’est engagée à étendre ces ateliers aux autres districts avant la fin de l’année. En filigrane se dessine une ambition : transformer les villages côtiers en pôles d’excellence où l’art et l’agro-transformation se répondent, et offrir à la jeunesse du Kouilou des débouchés ancrés dans le terroir mais tournés vers l’export.
Ainsi, en quatre-vingt-dix minutes d’échanges et de projets partagés, l’atelier de Loango aura rappelé qu’un pagne cousu ou un bijou sculpté peut porter plus loin que les vagues de l’Atlantique, à condition que la formation et le financement suivent. Un pari que l’État, les collectivités et leurs partenaires semblent décidés à relever, dans la droite ligne de la stratégie nationale de diversification économique.