Un cap financier franchi à Kinshasa qui interpelle les capitales voisines
Devant la presse réunie à Kinshasa le 2 juillet 2025, le président-directeur général de Barrick Gold, Marc Bristow, a confirmé que la mine d’or de Kibali avait dépassé le seuil symbolique de 6,3 milliards USD d’investissements directs depuis son entrée en production commerciale en 2013. L’annonce est moins une prouesse comptable qu’un nouveau marqueur géo-économique, tant la somme, rarement atteinte en Afrique subsaharienne pour un seul projet extractif, se traduit en infrastructures, transferts technologiques et recettes fiscales.
À lui seul, le complexe de Kibali représente désormais plus de 45 % de la production aurifère officielle de la RDC, avec 14,8 tonnes d’or exportées en 2024, selon les données provisoires de la Banque centrale congolaise. Cette masse critique confère au site le statut de levier de stabilité macroéconomique pour Kinshasa, alors que le pays poursuit la diversification de son portefeuille minier dominé par le cuivre et le cobalt.
Redéfinir l’empreinte aurifère et logistique de l’Afrique centrale
Le chiffre de 6,3 milliards USD ne se limite pas aux puits et aux unités de lixiviation. Il irrigue un corridor énergétique de plus de 400 kilomètres reliant l’extrême nord-est de la RDC au réseau routier transfrontalier et, in fine, aux ports atlantiques comme celui de Pointe-Noire. Barrick a investi dans trois centrales hydroélectriques – Nzoro, Azambi et Ambarau – qui alimentent non seulement le site minier, mais aussi des localités longtemps hors réseau.
Cette stratégie d’intégration verticale atténue les coûts logistiques, sécurise l’approvisionnement en énergie verte et consolide la position de la RDC, désormais perçue par les acteurs financiers comme un hub aurifère de classe internationale. Pour les bailleurs multilatéraux, le déploiement d’une chaîne de valeur complète, de la production à l’export, préfigure les standards futurs d’exploitation responsable sur le continent.
Externalités positives jusque sur les rives du fleuve Congo
Si la mine se trouve à 1 800 kilomètres des rives du fleuve Congo, ses retombées se lisent aussi à Brazzaville. D’une part, les autorités congolaises ont engagé, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, une modernisation progressive du port de Pointe-Noire et de la dorsale ferroviaire Congo-Océan. Ce dispositif logistique séduit les chargeurs miniers qui cherchent des itinéraires alternatifs à ceux du corridor Nord. Plusieurs convoiements d’or raffiné testent déjà cette voie, gage d’une diversification des débouchés maritimes.
D’autre part, la dynamique Kibali sert de vitrine régionale. Les forums économiques de Pointe-Noire et d’Oyo ont vu des délégations d’investisseurs, séduites par le modèle congolais de stabilité institutionnelle, examiner des permis aurifères sous-explorés dans le Niari et la Sangha. La chaine de valeur minière, couplée à l’expertise locale en logistique, pourrait ainsi générer des effets d’agglomération profitables au Congo-Brazzaville sans remettre en cause la primauté de la RDC dans la production.
Gouvernance fiscale et partenariats public-privé : un cas d’école régional
Les 6,3 milliards USD dévoilés à Kinshasa incluent 3,2 milliards USD reversés sous forme de taxes, redevances et dividendes à l’État congolais, selon la direction générale des impôts. Cette captation publique, rendue possible par la révision du Code minier congolais en 2018, illustre la montée en puissance de la gouvernance extractive dans la sous-région. Brazzaville, engagé dans un dialogue continu avec le Fonds monétaire international, observe avec intérêt ces mécanismes, y voyant une matrice pour ses propres réformes fiscales axées sur la transparence et le partage de la valeur.
Sur le terrain, Kibali emploie plus de 7 000 nationaux et fait travailler 450 entreprises locales homologuées. Le contenu local, devenu critère standard pour les bailleurs de la CEEAC, consolide l’acceptabilité sociale du projet. Les autorités congolaises, qui privilégient le triptyque stabilité-compétitivité-inclusion dans leur Plan national de développement, y trouvent un argument pour attirer les opérateurs qui cherchent des juridictions prévisibles mais flexibles.
Vers une diplomatie minière concertée au sein de la CEEAC
Le jalon atteint par Kibali résonne enfin sur le terrain de la diplomatie économique. Kinshasa et Brazzaville, membres fondateurs de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, convergent vers l’idée d’un protocole de coopération minière visant la standardisation des normes environnementales, la fluidification des corridors et un échange de données géologiques. L’initiative, soutenue par la Banque africaine de développement, pourrait réduire les chevauchements réglementaires qui freinent encore l’investissement transfrontalier.
À l’heure où le marché mondial de l’or demeure volatil, la solidité financière affichée par Kibali renforce la crédibilité des États d’Afrique centrale auprès des investisseurs institutionnels. Elle ouvre également la voie à des montages hybrides – associant fonds souverains, capitaux privés et facilités climatiques – pour financer de nouvelles infrastructures communes. En toile de fond, la diplomatie discrète menée par Brazzaville, soucieuse de préserver un climat d’affaires apaisé, apparaît comme l’un des atouts les plus sûrs pour transformer l’ambition régionale en réalités tangibles.