Une réponse aux goulets d’étranglement logistiques
Dans un pays où près de quatre importations sur cinq concernent des intrants industriels, le moindre ralentissement logistique se répercute immédiatement sur la compétitivité des acteurs privés. C’est pour colmater ces brèches que Sosep Groupe SA a lancé Joukwa, plateforme numérique destinée à rationaliser l’approvisionnement B2B. Présentée à Pointe-Noire devant un parterre d’opérateurs et de diplomates économiques, la solution propose de centraliser sourcing, paiement et suivi de commandes, réduisant ainsi les retards et la dispersion des fournisseurs souvent décriés par les entreprises locales.
Abiguel Massouka, chargé des opérations, souligne que « le digital permet de transformer des semaines d’attente en quelques clics de traçabilité ». En amont, l’algorithme agrège des catalogues internationaux triés sur des critères de conformité, tordant le cou aux aléas de qualité. En aval, la synchronisation avec les transitaires doit raccourcir le temps d’escale dans les ports de Pointe-Noire et de Matadi, points névralgiques des flux sous-régionaux.
La Zlecaf comme nouveau théâtre commercial
Le lancement de Joukwa intervient alors que la Zone de libre-échange continentale africaine entre dans sa phase opérationnelle. Pour les économistes du ministère du Commerce extérieur, la plateforme se présente comme « un catalyseur pragmatique » de l’accord panafricain : en abaissant les frictions transactionnelles, elle rend le tarif extérieur commun plus efficient. Le Congo-Brazzaville, engagé dans la diversification prônée par le Plan national de développement 2022-2026, peut ainsi convertir l’ouverture des marchés africains en débouchés tangibles pour ses secteurs émergents, du BTP à la santé.
En alignant sa grille de services sur les protocoles douaniers de la Zlecaf, Joukwa anticipe la montée en puissance des échanges intrarégionaux et évite aux PME congolaises le détour coûteux par des hubs extra-africains. L’initiative s’inscrit de facto dans les priorités fixées lors des derniers sommets de l’Union africaine consacrés à la transformation digitale.
Numérisation et souveraineté économique
Au-delà de la logistique, le projet met en lumière la stratégie gouvernementale de souveraineté numérique. L’hébergement des données au Congo et en République démocratique du Congo répond aux exigences croissantes de cybersécurité tout en créant des emplois qualifiés. Interrogé sur la question, un conseiller à la Présidence rappelle que « les infrastructures virtuelles sont les transports de demain » et que l’État entend soutenir les initiatives capables de réduire la dépendance vis-à-vis des intermédiaires offshore.
La plateforme mise également sur la transparence : chaque transaction est horodatée, et les justificatifs de conformité peuvent être partagés en temps réel avec les douanes ou les banques. Cette architecture renforce la lutte contre la fraude documentaire et facilite l’accès au crédit d’exploitation, volet essentiel pour la résilience des PME.
Des bénéfices mesurables pour le secteur privé congolais
Les premiers pilotes menés auprès d’importateurs d’équipements médicaux montrent une réduction de 23 % du cycle de commande et une économie moyenne de 12 % sur les frais de fret, d’après les chiffres communiqués par Sosep Groupe. Ces gains proviennent en grande partie de la mutualisation des volumes et de la négociation groupée des tarifs maritimes, comme le précise Ame César Sehossolo, responsable communication : « En privilégiant les envois consolidés, nous limitons le colisage inutile et répartissons le coût du dernier kilomètre ».
Le mécanisme profite également aux administrations publiques, souvent confrontées aux impératifs de livraison dans le cadre de projets d’infrastructure. L’intégration d’une passerelle de paiement multi-devises facilite le règlement direct des fournisseurs étrangers, un atout apprécié dans un contexte de volatilité monétaire internationale.
Vers un écosystème régional intégré
À moyen terme, Joukwa ambitionne d’élargir son champ au commerce triangulaire Afrique-Asie-Amérique latine, tout en nouant des partenariats avec les corridors ferroviaires en chantier. Cette stratégie, conforme aux orientations de la CEEAC, pourrait faire de Pointe-Noire un hub numérique au même titre que son port en eau profonde l’est déjà pour le fret physique.
En multipliant les passerelles technologiques avec les opérateurs de Côte d’Ivoire, du Kenya ou du Rwanda, la plateforme participe à l’émergence d’un marché intégré des services d’approvisionnement, pierre angulaire d’une industrialisation africaine voulue inclusive et durable. Les observateurs voient dans cette dynamique une illustration du rôle que le secteur privé congolais peut jouer dans la réalisation des objectifs de développement continental.
Un signal positif pour la diversification économique
Au-delà de la performance commerciale, le signal envoyé par Joukwa est résolument politique : l’économie congolaise se dote d’outils capables de sécuriser ses chaînes de valeur et de capter les dividendes du numérique. L’initiative trouve écho dans les discours officiels appelant à conjuguer innovation technologique et ouverture internationale, sans opposer souveraineté et compétitivité.
En somme, la plateforme ne se contente pas de digitaliser un flux existant. Elle contribue à redessiner la géographie des échanges, à repositionner le Congo comme passerelle logistique et à conforter, par la même occasion, l’ambition présidentielle d’un pays pivot au cœur d’une Afrique centrale en pleine mutation.