Un thermomètre continental inédit
En rendant public son premier Public Service Delivery Index à l’occasion de ses Assemblées annuelles 2025, la Banque africaine de développement (AfDB) introduit un outil de mesure sans équivalent sur le continent. L’indicateur agrège cent variables secondaires et des enquêtes de perception menées auprès des ménages de quarante-neuf États, pour jauger leur capacité à fournir énergie, sécurité alimentaire, intégration régionale, industrialisation et inclusion socio-économique. Avec une moyenne continentale de 45,39 %, l’Afrique tient désormais le miroir de ses propres contradictions : les avancées tangibles côtoient de vastes marges de progression, et la question n’est plus tant de savoir si les réformes sont nécessaires, mais comment les ordonner intelligemment.
Performances et écarts révélateurs
Le peloton de tête, emmené par l’île Maurice (59,96 %), l’Égypte et l’Afrique du Sud, affiche des résultats certes honorables, mais encore éloignés des standards internationaux. Le Sénégal, champion de la stabilité politique régionale, devance de peu le Ghana. En queue du Top 10, des pays comme les Seychelles ou la Tunisie, réputés pour leurs indicateurs sociaux historiques, mesurent la difficulté d’élargir leurs acquis à l’ensemble des cinq piliers. Derrière cette photographie, un écart de 54,61 points avec la note maximale rappelle que l’excellence demeure, pour l’instant, un horizon plus qu’une réalité.
Le cas du Maroc, un laboratoire contrasté
Classé sixième, le Maroc illustre la dialectique entre ambition industrielle et vulnérabilité structurelle. Les zones économiques spéciales de Tanger ou de Kénitra, la multiplication des parcs solaires dans le Sud et les fermes éoliennes sur l’Atlantique témoignent d’une stratégie volontariste orientée vers la décarbonation et la compétitivité. Pourtant, la dépendance aux importations céréalières, exacerbée par une sécheresse chronique, réveille le débat sur la souveraineté alimentaire. Sur le plan social, les écarts d’accès aux soins et à l’éducation entre villes et campagnes incitent Rabat à calibrer des politiques plus inclusives, sous peine de voir ses performances stagner.
Silences statistiques et réalités locales
Si l’Index célèbre les champions, il s’attarde moins sur les progrès silencieux de pays ne figurant pas encore dans le peloton de tête, à l’image du Congo-Brazzaville. Brazzaville a récemment renforcé la couverture énergétique rurale, élargi les partenariats public-privé dans l’agro-transformation et inscrit la question de l’intégration régionale au cœur de son Plan national de développement 2022-2026. Selon un conseiller de la Commission économique de l’Afrique centrale, « la consolidation budgétaire engagée depuis 2019 a ouvert un espace pour des investissements ciblés dans la santé primaire, souvent ignorés des classements globaux ». Si ces initiatives ne suffisent pas encore à propulser le pays dans le Top 10, elles reflètent une volonté politique de coller aux priorités de l’Agenda 2063.
Vers une diplomatie du service public
Le président de l’AfDB, Akinwumi Adesina, estime que « des services publics efficients constituent le pont entre le capital social et la prospérité privée ». Au-delà de la déclaration, c’est un véritable levier diplomatique qui se dessine. À mesure que ces indicateurs gagneront en crédibilité, ils influeront sur la notation des agences, la hiérarchisation des flux d’aide et les décisions d’investissement. Les États mieux classés disposeront d’un argument supplémentaire dans la compétition à l’attraction des capitaux, tandis que ceux en progression rapide pourront mobiliser la narration de la réforme pour peser dans les enceintes multilatérales.
Perspectives 2027 et enjeux de gouvernance
L’annonce d’un Prix du service public à l’horizon 2027 par l’AfDB devrait stimuler l’émulation. Toutefois, sans un renforcement des capacités statistiques nationales, le risque de sous-représentation des dynamiques locales persiste. Les capitales africaines gagneraient à articuler leurs plans de transformation à l’instrument de mesure continental, afin de transformer l’indexation en vecteur d’apprentissage collectif plutôt qu’en simple classement. À terme, l’amélioration de la gouvernance, adossée à des indicateurs fiables, pourrait sceller un nouvel artisanat politique africain : pragmatique, enraciné et conscient de l’indispensable inclusion.