Une course mondiale aux métaux critiques
La reconfiguration actuelle des chaînes d’approvisionnement en métaux critiques rappelle la manière dont le pétrole façonnait hier les alliances. Sous la pression des restrictions chinoises sur les exportations de terres rares, les grands acteurs industriels cherchent des dérivations stratégiques. L’Inde, forte d’une trajectoire de croissance de 6 % annuelle et d’ambitions technologiques affirmées, s’est tournée vers l’Afrique pour sécuriser l’indispensable aimant de ses moteurs électriques.
L’Inde, nouveaux pas diplomatiques vers Lusaka et Harare
Au cours des six derniers mois, New Delhi a dépêché trois délégations de haut niveau à Lusaka, Harare et Lilongwe. Selon le ministère indien de l’Énergie atomique, les protocoles signés englobent la cartographie géologique, le cofinancement d’écoles de géosciences et la fourniture d’équipements de forage de nouvelle génération. Les diplomates zambiens saluent une méthode « moins intrusive et plus prévisible » que certains précédents partenariats asiatiques.
Valorisation locale, un pivot de la stratégie africaine
La singularité de cette offensive réside dans l’insistance indienne sur la valeur ajoutée locale. Au lieu d’exporter les concentrés bruts vers la côte occidentale de l’Inde, New Delhi finance des unités pilotes d’hydrométallurgie à Blantyre et Maputo, avec pour objectif de transformer 30 % des oxydes sur place d’ici 2027. Un responsable malawite confie que « cette clause change la donne pour l’emploi qualifié ».
Le rôle stabilisateur de Brazzaville dans la ceinture cuprifère
Dans ce tableau, la République du Congo occupe une place charnière grâce à la stabilité institutionnelle consolidée sous la présidence de Denis Sassou Nguesso. Les forages exploratoires de NLC India sur les gisements cuivre-cobalt de la région de Mfouati illustrent un climat d’affaires apaisé. Les autorités congolaises, favorables à une industrialisation endogène, entendent que la filière batterie serve également leur marché domestique.
Un axe New Delhi–Abidjan pour le raffinage de demain
Plus à l’ouest, la Côte d’Ivoire ambitionne de devenir la plaque tournante du raffinage d’oxyde de néodyme. New Delhi et Abidjan travaillent à un corridor logistique reliant le port de San-Pedro et les usines d’aimants de Chennai, via Lomé. Les analystes voient dans cette bretelle maritime un instrument de diversification comparable au corridor Inde–Moyen-Orient annoncé au G20 de New Delhi.
Impacts géoéconomiques sur la chaîne des véhicules électriques
La sécurisation de ces flux reconfigure déjà les prix. Les constructeurs de véhicules électriques basés à Pune et à Wolfsburg prévoient une baisse de 7 % du coût moyen des moteurs d’ici 2028, si les livraisons africaines montent en puissance. En filigrane, l’Union européenne accueille favorablement une initiative qui alimente sa propre stratégie Global Gateway, tout en offrant aux États africains des revenus excédentaires face à la volatilité du cuivre chilien.
Enjeux de gouvernance et standards ESG en pratique
Reste la question du respect des normes ESG. Les nouveaux accords prévoient des audits conjoints, un fonds de dépollution abondé par la Banque d’import-export indienne et par la Banque africaine de développement, ainsi que des programmes de traçabilité blockchain. Les organisations de la société civile, notamment à Harare, observent avec prudence, mais reconnaissent que le dispositif est plus transparent que nombre de concessions minières passées.
Vers un nouvel équilibre sino-indien sur le continent
La convergence d’intérêts entre l’Inde et cinq capitales africaines marque l’émergence d’un équilibre inédit face à l’hégémonie chinoise. Pékin, sans contester publiquement ces avancées, a récemment fléchi ses prix à l’export pour l’oxyde de dysprosium. Les chancelleries occidentales, elles, voient dans l’initiative indo-africaine un signal que l’ordre des matières premières n’est plus monolithique mais pluripolaire et, potentiellement, plus résilient.