Un déplacement à Conakry sous le signe de la coopération
La date du 25 juin devait marquer une contribution académique de plus au florilège des conférences internationales sur le développement. Invité par les autorités de Conakry, Hubert Védrine, dont la réputation d’analyste sagace du système international n’est plus à faire, avait été convié à intervenir dans le cadre d’un forum consacré à « réinventer la planification et la coopération pour une Guinée émergente, inclusive et résiliente ». Le décor semblait parfait : un amphithéâtre cossu, une assistance composée de hauts fonctionnaires, de partenaires techniques et financiers ainsi que de diplomates désireux de recueillir les clés d’une projection africaine dans la mondialisation. Pourtant, l’exercice va bifurquer et offrir un tableau saisissant de la nouvelle configuration des rapports entre capitales africaines et voix européennes.
L’angle mort du discours de l’ancien ministre
Dès l’entame de son propos, l’ex-locataire du Quai d’Orsay a estimé que le thème retenu était, je cite, « paradoxal, parce qu’on est dans le monde de Trump qui est absolument opposé à tout ça ». Fidèle à sa verve, il s’est alors engagé dans une digression virulente à l’encontre de l’ancien président américain, recyclant un récit prononcé quelques mois auparavant devant l’Académie diplomatique de l’USEK. Le parallèle historique avec Andrew Jackson, symbole selon lui d’un populisme brutal, a certes suscité des acquiescements polis, mais a surtout laissé l’auditoire sur sa faim : le forum attendait un éclairage prospectif sur les instruments de planification, pas une charge tous azimuts contre Washington. À trop universaliser ce qui devait rester une analyse contextuelle, Hubert Védrine a abouti à un décalage perçu comme un déni implicite des priorités guinéennes.
Le rappel à l’ordre de Morissanda Kouyaté
La réaction fut immédiate. Montant aussitôt à la tribune, le chef de la diplomatie guinéenne, Morissanda Kouyaté, a fermement recadré l’échange. Sans hausser le ton, il a rappelé que « la Guinée n’a pas organisé une tribune anti-Trump » et que le peuple des États-Unis demeure souverain dans ses choix électoraux. Poursuivant, il a reconstitué la chronologie des solidarités internationales qui ont accompagné son pays, depuis l’aide soviétique au lendemain de l’indépendance jusqu’aux appuis américains et africains contemporains. « La Guinée n’oublie pas, la Guinée n’est pas ingrate », a-t-il insisté, invitant l’orateur à réancrer son analyse dans la problématique initiale : mobiliser les ressources internes et externes pour une croissance inclusive. Par ce rappel à la discipline thématique, Conakry a signifié qu’elle n’entend plus servir de caisse de résonance à des plaidoiries étrangères sans lien direct avec ses priorités nationales.
Une Afrique résolument maîtresse de sa narrative
La scène, immortalisée par les caméras locales, a rapidement circulé sur les réseaux sociaux africains. Beaucoup y ont vu la manifestation d’une Afrique libérée de l’autocensure diplomatique, soucieuse de distinguer la courtoisie protocolaire du devoir de souveraineté discursive. L’incident révèle également la maturité d’un appareil d’État guinéen prompt à rappeler que l’époque des conférences ex cathedra, où un expert occidental pouvait imposer son agenda intellectuel, paraît révolue. À l’heure où les partenariats se diversifient – du Golfe à l’Asie en passant par l’espace post-soviétique – la valeur ajoutée d’un invité extérieur ne se mesure plus à sa simple renommée, mais à son aptitude à s’aligner sur les besoins énoncés par les autorités hôtes.
Leçon de realpolitik pour les tribunes internationales
Du point de vue de l’étiquette diplomatique, la séquence renvoie à un principe simple : la pertinence contextuelle prime désormais le prestige biographique. Les décideurs africains, portés par des opinions publiques de plus en plus connectées, évaluent avec acuité le rapport coût-opportunité des séminaires qu’ils organisent. Dans ce nouvel équilibre, la légitimité d’un conférencier s’acquiert par la capacité à proposer des solutions opérationnelles, non par un catalogue de convictions personnelles, fussent-elles nourries d’une longue carrière au sommet de l’État français. Pour Hubert Védrine, l’épisode de Conakry, loin d’entacher un parcours reconnu, s’avère plutôt une piqûre de rappel : préparer une intervention suppose d’embrasser les sensibilités locales et d’anticiper la latitude rhétorique accordée par les organisateurs. En creux, la Guinée a adressé à l’ensemble de la communauté internationale un message de méthode : la coopération n’est véritablement efficace que si elle s’inscrit dans un dialogue d’égal à égal, débarrassé de toute tentation de surplomb intellectuel.