Un pays sans littoral à l’école de la mer
À première vue, la décision de l’Université de Défense Nationale (UDN) du Zimbabwe de faire appel aux formateurs congolais en matière de sécurité maritime pourrait prêter à sourire. Harare, située à plus de mille kilomètres de tout rivage, semble a priori éloignée des problématiques liées aux eaux territoriales. Pourtant, l’initiative répond à une logique désormais partagée par plusieurs États enclavés d’Afrique australe : sécuriser les corridors logistiques qui transitent par l’océan Indien et l’Atlantique, maillon vital de leur commerce extérieur. « La mer est devenue notre artère invisible », confiait récemment un diplomate zimbabwéen en poste à Pretoria.
La RDC, un laboratoire de sécurité fluviale et côtière
La République démocratique du Congo, forte de ses 37 kilomètres de façade atlantique et surtout de l’immense bassin du fleuve Congo, a développé depuis dix ans des capacités hybrides combinant surveillance côtière, contrôle fluvial et lutte contre la piraterie fluvio-maritime. Kinshasa a notamment inauguré en 2020 un Centre régional de fusion d’informations maritimes appuyé par l’Organisation maritime internationale (OMI). Selon un officier congolais détaché auprès de l’UDN, « le modèle congolais intéresse parce qu’il marie des moyens légers à un environnement logistique complexe, exactement ce qu’affrontera le Zimbabwe via ses corridors vers Beira ou Durban ».
Transferts de compétences et soupçon de realpolitik
Le programme signé à Kinshasa en avril entend former une première cohorte de soixante cadres zimbabwéens — officiers, diplomates et responsables des douanes — aux normes de l’OMI, au droit de la mer, mais aussi à la gestion de crises cyber liées au trafic portuaire. L’accord inclut l’accès à des simulateurs de navigation installés dans l’enceinte de la base navale de Banana, ainsi qu’un échange régulier de renseignements sur les mouvements suspects dans le canal du Mozambique. Pour Harare, c’est l’occasion de pallier le manque de visibilité sur les cargaisons stratégiques (hydrates de méthane, minerais rares) exportées via des ports étrangers. Pour Kinshasa, l’opération apporte une nouvelle source de revenus pour ses écoles militaires et un argument de poids dans sa campagne pour un siège non permanent au Conseil de sécurité en 2026.
Une sécurité maritime à vocation régionale
Au-delà de l’aspect bilatéral, l’initiative s’inscrit dans une dynamique multilatérale encouragée par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Le protocole de Dar es-Salaam de 2019 appelait déjà les États membres, littoraux ou non, à mutualiser leurs capacités face aux trafics de stupéfiants, à la pêche illicite et au terrorisme transfrontalier. L’implication d’un pays enclavé comme le Zimbabwe signale un élargissement du concept de « sûreté maritime » aux tronçons terrestres qui alimentent ou dérivent des ports. L’analyste namibien Paulus Shipanga note que « les groupes criminels exploitent les discontinuités administratives entre terre et mer ; cette coopération comble précisément ces interstices ».
Vers une diplomatie de la mer pour les pays enclavés
Sur le plan conceptuel, le rapprochement Harare-Kinshasa confirme l’émergence d’une diplomatie de la mer pratiquée par des nations jusque-là absentes des grands schémas navals. À terme, le Zimbabwe envisage de déployer des officiers de liaison dans les centres de commandement maritime de Maputo et de Luanda, et d’intégrer ses forces de défense à l’opération multinationale Obangame Express. Cette stratégie, souligne l’universitaire sud-africaine Zanele Khumalo, « traduit la fin d’une lecture strictement géographique de la puissance navale ». Elle pourrait aussi servir de modèle à d’autres pays enclavés, du Malawi au Rwanda, désireux de protéger des chaînes de valeur qui ne s’arrêtent plus aux frontières physiques. Dans un continent où 90 % du commerce intercontinental transite par la mer, l’initiative zimbabwéenne rappelle que même les États sans rivage ne peuvent plus se permettre d’ignorer l’horizon maritime.