Un cadre inédit mais encore fragile
Conclu sous l’impulsion de Washington, l’accord de paix signé entre Kigali et Kinshasa ambitionne de désamorcer le foyer de tensions le plus persistant d’Afrique centrale. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, les deux capitales convergent officiellement vers une stratégie de démantèlement coordonné des forces négatives circulant entre le Nord-Kivu, l’Ituri et le Sud-Kivu. Aux yeux des chancelleries, l’avancée est loin d’être négligeable : elle consacre le principe d’une coresponsabilité régionale dans la stabilisation de l’Est congolais, tout en s’inscrivant dans la dynamique d’intégration voulue par la Communauté d’Afrique de l’Est. Néanmoins, les diplomates les plus aguerris savent qu’un texte ne fait pas une paix. Sans institutions solidement arrimées à Kinshasa, l’exécution demeure suspendue aux aléas du terrain et aux calculs politiques des groupes armés, dont certains évoluent depuis plus de vingt ans dans une économie de guerre profondément enracinée.
La mutualisation des forces, exercice d’équilibre
Le volet sécuritaire repose sur la constitution d’un état-major conjoint chargé de planifier les opérations contre le M23, les FDLR, l’ADF ainsi que d’innombrables milices locales. Dans l’absolu, le dispositif répond à la logique de sécurité collective consacrée par l’Union africaine. Toutefois, la mémoire de l’opération Umoja Wetu, lancée en 2009 puis rapidement essoufflée, rappelle que la réussite dépendra du suivi politique, de la lisibilité de la chaîne de commandement et d’une transparence authentique envers les populations concernées. Concrètement, trois à cinq années seront nécessaires pour inventorier les groupes, déployer des colonnes mixtes sur une topographie accidentée, organiser la démobilisation, puis sécuriser durablement les axes économiques. Plus ce calendrier s’étire, plus la tentation d’une dépendance structurelle vis-à-vis des forces rwandaises pourrait s’installer, alimentant une perception d’immixtion étrangère. Il s’agit donc pour Kinshasa d’affirmer une coopération assumée tout en préservant l’orthodoxie de sa souveraineté militaire.
Ressources stratégiques : l’équation du « gagnant-gagnant »
Aussi décisive soit la dimension sécuritaire, elle ne saurait occulter la question cruciale de l’exploitation minière. Cuivre, cobalt, coltan et or continuent d’alimenter un commerce mondial dont la RDC demeure pourvoyeur essentiel sans en retirer l’intégralité des dividendes. Les accords passés avec des consortiums chinois, européens ou nord-américains s’affichent volontiers sous l’étiquette d’un partenariat équilibré. Pourtant, sur le terrain, les communautés locales peinent à percevoir les retombées promises, faute d’un partage clair de la rente, d’infrastructures de transformation sur place et d’une fiscalité appliquée avec rigueur. La conjoncture géopolitique offre néanmoins une fenêtre : la transition énergétique mondiale accroît la valeur stratégique du cobalt congolais. Pour transformer cet avantage comparatif en levier de développement, Kinshasa devra imposer la publication des contrats, exiger des chaînes de valeur locales et garantir la protection environnementale. En diplomatie économique, la capacité à fixer les règles du jeu vaut bien un bataillon supplémentaire sur le front.
Institutions nationales : le cœur du réacteur
Ni casques bleus, ni bailleurs, ni voisins ne pourront suppléer durablement l’État congolais dans ses fonctions régaliennes. Une armée professionnalisée, une magistrature indépendante et une administration territoriale efficace constituent les linteaux indispensables de la sécurité humaine. Les diplomates en poste à Kinshasa constatent que le pays dispose de viviers de compétences, mais que la fragmentation politique et la captation de rentes limitent la montée en puissance institutionnelle. L’accord Rwanda-RDC offre un effet de levier : en rendant visibles les progrès ou les retards, il crée une forme de redevabilité internationale. Dans cette perspective, la société congolaise, forte d’une diaspora dynamique et d’un secteur privé en émergence, peut incarner le moteur du changement. L’initiative appartient d’abord aux Congolais, tandis que les partenaires extérieurs, qu’ils soient africains, européens ou asiatiques, jouent un rôle d’appoint.
Une paix à capitaliser dans l’ensemble du Bassin du Congo
L’avenir de la région des Grands Lacs se déploie à l’ombre d’un Bassin du Congo confirmé comme deuxième poumon écologique de la planète. Dès lors, la sécurisation de l’Est congolais excède le cadre strict de la RDC ; elle intéresse directement les capitales voisines, au premier rang desquelles Brazzaville, qui œuvre depuis plusieurs années à la promotion d’une diplomatie de concertation. Le président Denis Sassou Nguesso, hôte régulier de sommets climat ou biodiversité, a rappelé l’importance de stabiliser l’espace géostratégique partagé afin de garantir la préservation des forêts et l’essor d’infrastructures transfrontalières. Une paix consolidée en Ituri ou au Nord-Kivu favoriserait en effet le corridor fluvial, moteur naturel d’intégration économique entre les deux rives du fleuve Congo. Ainsi, l’accord Rwanda-RDC, s’il est mené à terme, porterait un dividende régional : réduction des flux illicites d’armes, hausse des échanges légaux et mise en valeur responsable des ressources naturelles.
Au-delà de la signature, l’épreuve du temps
Conçu comme un jalon vers la normalisation, le texte ne trouvera son sens que dans une exécution patiente, intelligente et ancrée dans l’intérêt national. La RDC peut transformer ses abondantes ressources en capitaux humains à condition d’arrimer la discipline budgétaire à la transparence contractuelle, la réconciliation communautaire à une justice impartiale et la coopération militaire à l’affirmation pleine de sa souveraineté. Les partenaires, du Rwanda aux bailleurs multilatéraux, ne sauraient se substituer à cet effort, mais peuvent amplifier les succès ou, inversement, sanctionner les dérives. En dernière analyse, la paix durable naîtra d’une géométrie variable alliant sécurité collective, gouvernance vertueuse et valorisation des atouts miniers. Le temps diplomatique est parfois long, mais il récompense les États capables de se montrer maîtres de leur destin. Aux Congolais, donc, d’inscrire dans la durée la dynamique inaugurée, afin que le terme de « bénédiction géologique » cesse d’être paradoxal et devienne synonyme de prospérité partagée.