Un hommage national hautement symbolique
Brazzaville n’avait plus connu, depuis plusieurs décennies, une cérémonie honorifique d’une telle envergure dans le champ académique. Le 1ᵉʳ août, en décorant le professeur Théophile Obenga de la dignité de Grand-croix de l’Ordre national du mérite congolais, le président Denis Sassou Nguesso a choisi de placer la recherche et la transmission du savoir au sommet des préoccupations républicaines. Premier citoyen congolais à recevoir une distinction aussi élevée de son vivant, l’égyptologue et linguiste voit sa trajectoire personnelle se muer en métaphore de l’excellence nationale que l’État entend célébrer.
La décision ne procède pas uniquement d’un hommage individuel. Elle s’inscrit dans une diplomatie culturelle où la mise en avant de références intellectuelles, reconnues tant en Afrique qu’en Occident, renforce la crédibilité du Congo sur la scène internationale. Aux yeux de nombre de chancelleries, l’image d’un professeur mondialement cité sert de relais à une politique de soft power africaniste que Brazzaville entretient depuis la Conférence nationale de 1991 et qu’elle réactive aujourd’hui avec prudence.
Le Ceprod, acteur discret de la prospective intellectuelle
Le Centre de prospective pour le développement (Ceprod) n’est pas, en apparence, le plus en vue des think-tanks congolais. Pourtant, la démarche de son président Michel Ngakala, venu saluer l’élévation de l’universitaire, révèle la place que cet organisme entend occuper : celle d’un médiateur entre décideurs publics, corps savants et opinion éclairée. « Le professeur Obenga reste à la fois modèle africain, fierté nationale et lumière pour la jeunesse du continent », a-t-il déclaré, soulignant la vocation panafricaniste du Ceprod.
En rendant visite au lauréat dans son cabinet de travail, la délégation a voulu montrer concrètement que la reconnaissance ne se limite pas au protocole des palais. L’exploration de la bibliothèque privée de l’universitaire, véritable mémoire de ses cinquante années de recherches, a permis de mesurer l’ampleur d’une œuvre qui conjugue philologie, anthropologie et histoire des idées. « Venir voir le cadre de vie et de travail du Pr Obenga, c’est confirmer que le savoir n’est pas un monument figé mais un chantier permanent », a fait valoir le professeur Bienvenu Boudimbou.
Théophile Obenga, un parcours scientifique transcontinental
Né à Mbaya en 1936, formé à Alexandrie puis à la Sorbonne, Théophile Obenga occupe une place singulière dans le débat sur les origines de la civilisation pharaonique. Ses échanges avec Cheikh Anta Diop, dans les années 1970, ont nourri une réévaluation de la contribution négro-africaine à l’Égypte antique. De Brazzaville à Chicago, ses conférences ont jeté des passerelles audacieuses entre philologie copte, linguistique bantu et histoire politique moderne.
La République du Congo salue ainsi un opérateur scientifique dont les travaux ont essaimé au-delà des frontières. Plusieurs universités américaines et françaises citent encore ses thèses sur les langues chamito-sémitiques. La reconnaissance nationale le replace, pour les jeunes chercheurs congolais, dans le rôle de mentor qu’il exerce déjà à l’Université Marien Ngouabi où il anime ponctuellement des séminaires.
La diplomatie du savoir au cœur de la vision présidentielle
Depuis la remise en 2021 du Plan national de développement, les autorités congolaises insistent sur la modernisation du secteur universitaire, perçu comme vecteur de diversification économique et d’influence régionale. La décoration du Pr Obenga se comprend à la lumière de cette stratégie. « Les efforts du chef de l’État pour la création d’universités aptes à répondre aux aspirations des jeunes Congolais méritent d’être amplifiés », a souligné l’intéressé, réaffirmant sa disponibilité à conseiller les réformes curriculaires en cours.
Dans un contexte où la diplomatie multilatérale renoue avec l’idée d’« internationalisation de la science », Brazzaville propose une lecture africaine : placer la valorisation des savants autochtones au même niveau que la diplomatie commerciale ou sécuritaire. Aux Nations unies, la mission congolaise rappelle régulièrement que l’accès aux savoirs constitue l’un des Objectifs de développement durable. L’État, en honorant Obenga, traduit ce discours en geste concret.
Perspectives pour la jeunesse et l’enseignement supérieur
Au sortir de la rencontre, la délégation du Ceprod a remis un tableau représentant la remise de la Grand-croix, symbole destiné à orner la bibliothèque personnelle de l’universitaire. Au-delà de l’émotion, l’enjeu est pédagogique. Les doctorants interrogés dans les couloirs de l’Université Marien Ngouabi espèrent voir naître une chaire Obenga, susceptible d’agréger séminaires, archives numérisées et partenariats internationaux. « Il faut que la flamme qu’il incarne soit perpétuée », plaidait Michel Ngakala, trouvant un écho dans les propos de la professeure Olga Akila Ngongo, pour qui cette reconnaissance « doit rayonner à l’échelle universelle ».
Le gouvernement, de son côté, planche sur un fonds d’aide à la mobilité des jeunes chercheurs vers les centres de savoir du Sud global. Selon un document de travail consulté par nos soins, la prochaine loi d’orientation de l’enseignement supérieur devrait consacrer un article à la préservation et à la diffusion des archives scientifiques nationales. L’hommage rendu à Obenga pourrait donc servir de catalyseur à une politique publique de long terme, articulant excellence académique, cohésion sociale et rayonnement diplomatique.
Dans une région marquée par la volatilité des cours des matières premières, investir dans le capital humain apparaît comme une assurance face aux aléas. En faisant de la Grand-croix un acte de reconnaissance vivante, le Congo-Brazzaville souligne que la connaissance demeure une ressource stratégique, aussi précieuse que le pétrole ou le bois.