Onde de choc géopolitique et thermomètre pétrolier mondial
Lorsque, à la mi-avril, des missiles iraniens et israéliens ont brièvement obscurci le ciel du Moyen-Orient, les marchés à terme se sont immédiatement emballés. Le Brent a frôlé les 95 USD, enregistrant en quelques séances une hausse proche de 17 % selon les données agrégées par l’Agence internationale de l’énergie. Les opérateurs anticipaient un possible rétrécissement des flux sortant du Golfe, d’où transitent environ 20 % de la consommation mondiale.
Pourtant, à Douala, Yaoundé ou Garoua, le prix du litre est resté identique. « La flambée reste contenue à l’international et, surtout, aucune raffinerie iranienne n’a été affectée ; en conséquence, le consommateur camerounais n’a pas à redouter de variation immédiate », a expliqué le ministre des Finances Louis Paul Motaze, insistant sur la nature préventive du dispositif de stabilisation national.
Les ressorts internes de la politique tarifaire camerounaise
Depuis la réforme de 2018, la structure des prix à la pompe repose sur un mécanisme de lissage alimenté par la Société nationale des hydrocarbures et par une taxe parafiscale dédiée. Concrètement, lorsque le baril dépasse le plafond technique retenu dans la loi de finances – 70 USD pour l’exercice 2024 –, l’État amortit la différence grâce à un compte d’ajustement géré par le Trésor. Ce dernier est abondé à la fois par les marges des raffineurs, par les dividendes pétroliers et par les droits de douane sur les produits finis importés.
La Sonara, unique raffinerie du pays, tourne encore en mode quasi-importateur depuis l’incendie de 2019, mais la conversion progressive de certaines unités assure une part d’approvisionnement local. Tant que le spread entre le prix international et le prix administratif reste dans la fourchette de 30 à 40 FCFA, le gouvernement privilégie le statu quo pour préserver la cohésion sociale, affirme un conseiller au ministère de l’Énergie.
Un bouclier social au cœur des équilibres budgétaires
Selon la direction générale du budget, les subventions aux carburants devraient tutoyer cette année 450 milliards de FCFA, soit un peu plus de 1,3 % du PIB. Un montant jugé « soutenable » tant que les cours se maintiennent sous la barre symbolique des 100 USD et que les recettes pétrolières, dopées par les nouveaux permis offshore, continuent de se raffermir.
Pour le professeur Paul Tchawa, économiste à l’Université de Yaoundé II, « le maintien du prix actuel est aussi un pari politique : en période pré-électorale, rogner sur le pouvoir d’achat serait risqué. Mais c’est un pari calculé, car la dette publique reste contenue et les partenaires multilatéraux, FMI en tête, saluent la discipline affichée depuis deux ans ». Les autorités se disent néanmoins prêtes à réviser le dispositif si la crise s’envenime dans le Golfe et entraîne un choc durable.
Réactions des partenaires et conséquences régionales
Dans les salles de marché, les traders de TOTSA ou de Trafigura ont relevé une baisse temporaire des primes exigées pour les cargaisons à destination de Kribi, signe que la demande camerounaise reste lisible. Le Tchad, pays enclavé qui dépend de la logistique camerounaise, profite indirectement de cette stabilité, tout comme la République du Congo qui, malgré sa qualité de producteur net, importe des produits raffinés pour sa consommation côtière.
À Brazzaville, l’on salue officiellement « une démarche responsable au sein de la CEMAC », selon le porte-parole du ministère congolais des Hydrocarbures. L’Union européenne, quant à elle, voit dans cet ancrage tarifaire un facteur de prévisibilité pour le corridor Douala-Bangui, essentiel à la projection des forces onusiennes en Centrafrique.
Perspectives à court terme pour Yaoundé et la CEMAC
Si la tension militaire venait à s’étendre au détroit d’Ormuz, l’Arabie saoudite pourrait augmenter sa production pour compenser une éventuelle perte iranienne, limitant ainsi la hausse structurelle du baril. Les prévisionnistes de la Banque mondiale évoquent un scénario médian à 88 USD d’ici à la fin de l’année, marge dans laquelle le Cameroun peut encore absorber les chocs sans relever le prix domestique.
À moyen terme, le gouvernement finalise un plan de conversion partielle du parc automobile à l’assemblage local de kits GNV, tandis que la Sonara projette une unité de désulfuration pour répondre aux standards CEMAC 2026. Ces options, combinées à la recherche active de financements verts, visent à réduire la vulnérabilité structurelle au baril et à poursuivre l’objectif diplomatique d’une économie résiliente face aux turbulences extérieures.