Le Parlement d’Accra donne un feu vert attendu
En séance plénière, le 24 juin 2025, les députés ghanéens ont approuvé à une large majorité le protocole d’accord signé avec un consortium de 25 pays créanciers, parmi lesquels la Chine, la France, les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le texte prévoit un rééchelonnement et une réduction d’un montant nominal total de 2,8 milliards de dollars, soit près de 18 % de la dette extérieure publique du Ghana. Le ministre des Finances, Ken Ofori-Atta, a salué « une bouffée d’oxygène budgétaire qui donne à notre économie le temps de guérir », rappelant que les échéances de 2026 représentaient à elles seules plus de 700 millions de dollars de service de la dette.
L’accord s’inscrit dans la séquence plus vaste du programme de redressement de 3 milliards de dollars conclu avec le Fonds monétaire international en 2023. La signature d’Accra était la condition préalable exigée par le FMI pour le décaissement de la troisième tranche, attendue avant la fin de l’été. À l’intérieur du Parlement, l’opposition a toutefois stigmatisé un « succès en trompe-l’œil » (parti NDC), estimant que l’exécutif n’a pas accompagné les négociations d’un plan crédible de réforme fiscale.
La mécanique du Cadre commun : un laboratoire de diplomatie financière
C’est sous l’égide du Cadre commun du G20, créé en 2020 pour coordonner les restructurations post-Covid, que les pourparlers se sont déroulés. Dans ce format, les créanciers dits « officiels » conviennent d’un traitement harmonisé, puis laissent au débiteur le soin de négocier des conditions similaires avec les détenteurs privés. Pour le Ghana, dont près de 40 % des obligations sont libellées en eurobonds, la difficulté réside désormais dans le ralliement des investisseurs obligataires à l’accord public.
La présence de la Chine, premier créancier bilatéral d’Accra (1,7 milliard de dollars), a été scrutée de près. Pékin, longtemps réticent aux dispositifs initiés par le Club de Paris, semble avoir privilégié la voix multilatérale afin de protéger ses actifs stratégiques dans le corridor minier de l’ouest du pays, selon un diplomate européen présent aux discussions. Le Trésor américain, de son côté, a insisté sur la transparence, jugeant « impératif que les clauses de participation soient appliquées à tous les porteurs ».
Un soulagement budgétaire mais des réformes incontournables
À court terme, le rééchelonnement libère près de 550 millions de dollars de liquidités annuelles entre 2025 et 2028. Le ministère des Finances projette un déficit primaire ramené à 0,5 % du PIB dès 2026, contre 3,1 % en 2024. Les créanciers ont toutefois assorti leur geste d’indicateurs de performance stricts : élargissement de la base fiscale, plafonnement de la masse salariale publique et rationalisation des subventions à l’énergie.
La Banque du Ghana entend utiliser la marge dégagée pour reconstituer des réserves internationales tombées à 2,9 mois d’importations. « La stabilisation du cedi reste la condition sine qua non pour contenir l’inflation importée », rappelle la gouverneure Elsie Addo Awadzi. Les milieux d’affaires, réunis au sein de la Ghana Union of Traders Association, espèrent une détente rapide des taux directeurs, actuellement à 29 %. Pourtant, plusieurs économistes avertissent que l’ajustement pourrait se heurter à l’année électorale 2026, propice aux pressions populistes.
Les réactions contrastées des places financières
À Londres comme à New York, les eurobonds ghanéennes ont gagné près de 180 points de base dans les heures suivant le vote parlementaire, illustrant un regain de confiance mais aussi la persistance d’une prime de risque supérieure à la moyenne régionale. Standard & Poor’s a, dans la foulée, relevé la perspective de la note souveraine de « négative » à « stable ». Fitch, plus prudente, attend que les créanciers privés confirment leur alignement avant tout mouvement.
Les analystes de JPMorgan soulignent que le Ghana sert désormais de test grandeur nature pour le Cadre commun : « La rapidité avec laquelle les autorités concluront l’accord avec les obligataires sera déterminante pour d’autres États tels que l’Éthiopie ou la Zambie. » Les marchés émergents observent aussi la dynamique des taux américains, facteur exogène susceptible de neutraliser tout avantage acquis.
Implications régionales et lecture géopolitique
Au-delà des chiffres, la restructuration rebat les cartes d’influence en Afrique de l’Ouest. La France, historiquement présente via l’Agence française de développement, s’efforce de conserver un rôle pivot alors que la Chine consolide son empreinte infrastructurelle. Washington multiplie, lui, les visites d’émissaires, soucieux de contrer les avancées sino-russes dans le golfe de Guinée. « Le Ghana devient l’épicentre d’une concurrence feutrée pour la sécurité maritime et l’accès aux minerais critiques », confie un haut responsable de la CEDEAO.
Accra entend capitaliser sur ce regain d’attention. Le président Nana Akufo-Addo, dont le second mandat s’achève en janvier 2025, mise sur l’allègement de dette pour relancer le projet de zone industrielle de Tema et doter l’armée d’équipements côtiers. L’équation est subtile : trop de dépendance vis-à-vis d’un seul partenaire risquerait de mécontenter les autres bailleurs, alors que la stabilité régionale demeure fragile, minée par la crise sécuritaire au Sahel.
Un précédent pour la gouvernance de la dette africaine
Avec cet accord, le Cadre commun du G20 enregistre un succès institutionnel rare, après les critiques suscitées par la lenteur des dossiers zambien et éthiopien. Pour le Ghana, l’enjeu est désormais double : transformer le répit obtenu en réformes structurelles et convaincre les créanciers privés d’adhérer à des conditions similaires. S’il y parvient, Accra montrera qu’un alignement entre bailleurs occidentaux et chinois est possible, à la condition d’une transparence renforcée.
À l’inverse, un échec prolongé raviverait le débat sur la soutenabilité de la dette africaine et les mécanismes de partage des pertes. Pour l’heure, l’optimisme prudent domine. Selon l’économiste ghanéen Kwame Pianim, « l’histoire retiendra peut-être 2025 comme l’année où l’Afrique a commencé à redéfinir les règles du jeu de la finance internationale, non pas par la force, mais par la persuasion diplomatique ». Reste à savoir si cette persuasion suffira à transformer la trêve financière d’aujourd’hui en prospérité durable.