Retour sur l’urgence macroéconomique ghanéenne
Au terme d’une session parlementaire nocturne, Accra a ratifié le protocole d’accord scellant la restructuration de 2,8 milliards USD de dette officielle. Le geste, décisif pour débloquer la deuxième tranche du programme de 3 milliards USD négocié avec le FMI, intervient dans un climat marqué par une inflation encore à deux chiffres, une dépréciation chronique du cedi et un ratio dette/PIB dépassant 70 %. Les autorités insistent sur la priorité donnée aux dépenses sociales et aux infrastructures, deux secteurs dont les enveloppes avaient fondu sous l’effet de la crise post-pandémie et de la flambée des prix de l’énergie.
Le Cadre commun du G20 à l’épreuve des faits
Mis sur pied en 2020 pour éviter des défauts désordonnés, le Cadre commun promettait une coordination inédite entre créanciers officiels et privés. Le dossier ghanéen en fournit le premier test d’envergure depuis celui, plus heurté, de la Zambie. Dans le cas d’Accra, la signature de 25 États — la Chine et la France en chefs d’orchestre — traduit un consensus rare sur la nécessité d’éviter une spirale de défauts souverains en Afrique de l’Ouest. Cependant, la clause de comparabilité de traitement, qui oblige le pays à négocier des concessions au moins équivalentes avec les détenteurs d’eurobonds, reste encore théorique. Or près d’un tiers de la dette publique ghanéenne est libellé en devises sur les marchés internationaux, faisant planer un risque de contentieux juridiques si les détenteurs d’obligations s’estiment lésés.
Pékin et Paris : un tandem pragmatique
La coprésidence sino-française du comité des créanciers a suscité de discrètes tensions diplomatiques mais a, in fine, démontré une convergence d’intérêts. La Chine, première source bilatérale de financement d’infrastructures au Ghana, souhaite préserver son exposition sans précipiter un défaut. Paris, quant à elle, défend la crédibilité d’un multilatéralisme réformé et la stabilité financière de sa sphère d’influence ouest-africaine. « Nous leur sommes reconnaissants pour leur dévouement », a salué le ministre ghanéen des Finances Cassiel Ato Forson, rappelant les quinze mois de tractations techniques nécessaires à l’accord. Derrière l’emphase diplomatique, Accra devra toutefois répondre à l’opinion publique qui redoute une dépendance accrue envers Pékin et s’interroge sur la latitude réelle du gouvernement dans l’affectation des fonds libérés.
Soulagement budgétaire immédiat, incertitudes de long terme
Le schéma retenu reporte les paiements dus entre décembre 2022 et fin 2026, lesquels seront capitalisés puis amortis étalés entre 2039 et 2043. Autrement dit, le pays achète quinze années de répit au prix d’un allongement substantiel de la maturité et d’intérêts composés plus élevés. À court terme, le service de la dette chuterait de près de 1,2 % du PIB par an, une marge bienvenue pour financer les programmes de protection sociale et la réforme de la fonction publique exigée par le FMI. Néanmoins, plusieurs économistes ghanéens alertent déjà sur le risque de réapparition du fardeau dès la prochaine décennie si la transformation structurelle — diversification de l’économie hors or, cacao et pétrole — ne se matérialise pas.
Signal régional et contagion possible aux marchés émergents
Les chancelleries ouest-africaines suivent le cas ghanéen avec attention. Abidjan, Dakar ou Lomé pourraient être tentées de solliciter un traitement équivalent si la conjoncture mondiale se détériore. Pour les investisseurs, le précédent pourrait modifier la perception du risque souverain africain en renforçant l’idée que l’arbitrage politique peut prendre le pas sur la stricte hiérarchie des créanciers. Dans les salles de marché, certains gérants de portefeuilles redoutent déjà une montée des primes de risque, scenario que le FMI juge maîtrisable à condition que les négociations restent rapides et transparentes.
Entre exigences populaires et impératif de crédibilité
Dans la rue, des organisations de la société civile exigent que le gain budgétaire soit prioritairement affecté à la santé et à l’éducation, deux secteurs éprouvés par les coupes récentes. Le gouvernement promet de publier un tableau de bord trimestriel sur l’usage des marges dégagées, un engagement de transparence rare dans la région. Reste à voir si ce gage suffira à contenir la grogne sociale, notamment chez les jeunes diplômés confrontés à un taux de chômage officieux de 20 %. Pour Accra, l’équation est délicate : rassurer les marchés, satisfaire le FMI et ménager l’électorat à l’approche des élections de 2028.
Le pari d’Accra : réformer pendant le sursis
Au-delà du rééchelonnement, l’exécutif ghanéen joue sa crédibilité sur la réforme fiscale, la rationalisation des subventions énergétiques et l’ancrage d’un cedi plus stable grâce à l’accumulation de réserves. Le pays dispose de quatre années de souffle financier ; il lui faudra les convertir en gains de compétitivité durables pour éviter un nouveau cycle de surendettement. En substance, la restructuration offre une fenêtre d’opportunité, non une panacée. L’histoire récente de la Zambie rappelle que le succès d’une telle opération se mesure moins à la signature qu’à la discipline budgétaire et à la diversification économique qui suivent.