Une accélération inédite dans la mécanique électorale ghanéenne
Jamais, depuis la restauration du multipartisme en 1992, un grand parti ghanéen n’avait osé procéder à la nomination de son porte-étendard présidentiel plus d’un an avant les statuts. En plaçant l’échéance interne au milieu de l’année 2023, alors que la présidentielle n’interviendra qu’en décembre 2024, le New Patriotic Party (NPP) rompt avec une tradition de temporisation et prend de court la scène politique nationale. Pour plusieurs cadres du parti contactés à Accra, il s’agit de « donner un signal de confiance à l’électorat et aux investisseurs étrangers », dans un contexte où l’économie, éprouvée par la volatilité du cedi et la remontée des taux internationaux, nécessite des repères clairs.
Les ressorts stratégiques d’une course contre la montre
Derrière cette décision, se lit la volonté d’offrir au vice-président Mahamudu Bawumia un temps long pour consolider son image d’économiste pragmatique. Selon un mémorandum interne consulté par nos soins, le NPP redoute que les réformes monétaires engagées depuis 2020 ne produisent des effets tangibles qu’à partir de la mi-2024. Disposer d’un candidat désigné bien en amont permettrait donc de l’associer, dès à présent, aux succès attendus et de limiter la concurrence en interne. L’aile historique du parti, proche de l’ancien ministre du Commerce Alan Kyerematen, dénonce pourtant un « chemin balisé pour un choix déjà fait », rappelant que la Constitution du NPP privilégie en principe l’émergence de plusieurs profils avant une convention nationale.
La riposte méthodique de l’opposition du NDC
Face à cette manœuvre, le National Democratic Congress (NDC) de l’ancien président John Dramani Mahama ancre sa propre stratégie sur l’effet de contraste. Un proche conseiller de Mahama assure qu’« une désignation trop précoce expose le NPP à l’usure et à la critique permanente », arguant que les Ghanéens sont plus sensibles aux résultats qu’aux promesses programmatiques. Le NDC, qui tiendra malgré tout son congrès de désignation dès octobre 2023, se présente comme une force de contre-poids institutionnel, insistant sur la nécessité d’un débat public approfondi sur la dette souveraine et la gouvernance minière. Cette posture, moins précipitée, vise à apparaître responsable sans pour autant laisser au pouvoir le monopole de l’agenda.
Des institutions sous pression entre primauté partisane et stabilité démocratique
La Commission électorale, garante constitutionnelle du processus, observe avec circonspection cette reconfiguration du calendrier partisan. Sa présidente, Jean Mensa, a rappelé publiquement que « toute consultation interne reste soumise aux exigences de transparence financière et de sécurité des scrutins ». L’enjeu est de taille : éviter qu’une campagne longue de dix-huit mois ne surcharge les finances publiques déjà sollicitées par l’augmentation des opérations sécuritaires dans le nord du pays, où les menaces transfrontalières du Sahel demeurent prégnantes. Pour plusieurs diplomates ouest-africains basés à Accra, le Ghana semble tester la résilience de son architecture démocratique, souvent présentée comme un modèle dans la région, tout en demeurant attentif aux signaux envoyés par la CEDEAO.
Résonances régionales et marges de manœuvre diplomatiques
Au-delà des frontières ghanéennes, l’anticipation du NPP suscite l’intérêt de capitaux internationaux en quête de visibilité politique. Des investisseurs pétroliers opérant au large du golfe de Guinée confient que « la prévisibilité du cycle électoral constitue un critère aussi déterminant que la fiscalité ». Le Nigeria voisin, engagé dans une transition civilo-militaire complexe, suit également l’évolution de la situation, considérant le Ghana comme un partenaire stratégique dans la gestion des routes maritimes. Dans ce registre, Accra mise sur une diplomatie économique renforcée : le sommet Ghana Investment and Opportunity Fair, prévu en février 2024, devrait mettre en avant le candidat du NPP déjà choisi, conférant à la campagne un caractère quasi-institutionnel.
Entre risque d’usure et pari sur la visibilité : un équilibre à trouver
La précocité peut se révéler à double tranchant. Si, d’un côté, elle laisse au NPP le temps de polir son discours et de rassembler les différentes factions, elle expose également son champion aux aléas de la vie économique et aux controverses potentielles pendant plus d’un an. L’ancienne présidente de la Cour suprême, Sophia Akuffo, met en garde : « Gouverner, ce n’est pas uniquement convaincre son camp, c’est accepter que les institutions, la presse et la société civile exercent un contrôle constant. » La campagne longue pourrait, à terme, exacerber la polarisation ou épuiser les militants, phénomène observé ailleurs en Afrique de l’Ouest lors de scrutins étirés.
Cap sur 2024 : vers une scène politique renouvelée ou crispée ?
Alors que 2024 approche, le Ghana se trouve à un carrefour. Le NPP cherche à capitaliser sur un momentum qu’il estime favorable, tandis que le NDC ajuste sa tactique pour ne pas laisser l’espace médiatique à l’adversaire. Les électeurs, eux, seront sensibles à la trajectoire macro-économique, à la gestion des ressources naturelles et aux réponses apportées à la jeunesse urbaine confrontée au chômage. En dernière instance, la dynamique enclenchée par les primaires anticipées pourrait produire ce que le politologue Kwesi Aning résume ainsi : « Soit un raffermissement d’une démocratie désormais adulte, soit un glissement vers une campagne permanente où l’essentiel cède la place au spectacle. »