Un laboratoire d’ambition au cœur de Brazzaville
Une salle polyvalente du centre-ville, un dimanche après-midi, et déjà l’atmosphère d’une rentrée solennelle plutôt que d’une fin de cycle. Robes professionnelles, port de tête assuré : les 28 apprenantes de la première cohorte du programme Génius reçoivent leurs attestations, concentres d’efforts condensés en huit semaines. Derrière les flashes et la poignée de mains protocolaire, se lit un fil conducteur : le Congo compte sur ces nouvelles cheffes d’entreprise pour irriguer son marché intérieur, créer de l’emploi et soutenir la diversification prônée par le Plan national de développement 2022-2026.
Mis sur orbite par la Chambre nationale des femmes cheffes d’entreprises et entrepreneures du Congo, le dispositif a bénéficié d’un appui appuyé du ministère des Petites et Moyennes Entreprises et du Programme des Nations unies pour le développement. Cette articulation public-privé-multilatéral illustre la logique de convergence qui, depuis plusieurs années, structure la politique de promotion de l’initiative privée voulue par le président Denis Sassou Nguesso : chacune et chacun doit pouvoir trouver, au-delà des hydrocarbures, un champ d’épanouissement économique.
Entrepreneuriat féminin congolais : méthode et discipline
Le curriculum, construit sur six modules – de l’élaboration d’un business plan à la planification financière – a été ajusté aux impératifs du marché local. « Nous avons travaillé sur la clarté de l’offre, la capacité à convaincre un investisseur et l’intelligence émotionnelle, souvent négligée, mais décisive pour la négociation », explique l’initiatrice du projet, Flavie Lombo. Les participantes, issues des secteurs agroalimentaire, cosmétique ou numérique, ont également exploré le positionnement identitaire, destiné à renforcer l’estime de soi dans un environnement encore marqué par les stéréotypes de genre.
Cette rigueur méthodologique a trouvé un écho particulier auprès de Blanche Bafiatissa, promotrice de la marque Bianca Biofood : « La différence entre commerce et entrepreneuriat m’est désormais claire : il ne s’agit plus de vendre un produit, mais de bâtir une organisation pérenne », confie-t-elle, le certificat en mains.
Financement des PME au Congo : vers un nouveau souffle
Pour transformer l’essai, le programme s’appuie sur un mécanisme de facilitation bancaire. Le partenariat avec Ecobank, via son dispositif Éleveur d’Étoiles, ouvre aux diplômées un guichet dédié, assorti de comptes professionnels à faibles frais et d’un accompagnement à la levée de fonds. « Sans bancarisation, pas de traçabilité, donc pas de croissance », résume un cadre de l’établissement. Ce maillon financier répond à l’une des principales contraintes identifiées par la Banque mondiale : moins de 20 % des entreprises dirigées par des femmes disposent d’un accès régulier au crédit formel dans le pays.
Le Pnud a, de son côté, officialisé un soutien de 10 000 dollars à la Chambre nationale. « Nous sommes fiers de contribuer à un écosystème qui lutte concrètement contre la pauvreté », a déclaré sa représentante, Adama Dian-Barry. L’enveloppe servira à équiper un incubateur mobile et à couvrir des frais de mentorat pour les phases pilotes de Pointe-Noire, Oyo, Dolisie et Ouesso.
Équilibre social et masculinité positive
Particularité saluée par les observateurs : la présence de deux hommes parmi les récipiendaires. Loin de l’anecdote, cette inclusion répond à une stratégie dite de « masculinité positive », dont l’objectif est d’associer les leaders masculins à la promotion de l’autonomisation féminine. « L’égalité économique ne se décrète pas, elle se co-construit », souligne Jacqueline Lydia Mikolo, ministre des PME et de l’Artisanat, rappelant que l’entrepreneuriat des femmes figure parmi les priorités présidentielles réaffirmées lors des assises nationales sur l’industrialisation.
Les lauréats masculins, venus du secteur des services numériques, ont travaillé sur des modèles de plateforme de paiement simplifiée et de gestion comptable, solutions susceptibles d’alléger la charge administrative des microentreprises tenues par des femmes. Le pari est clair : faire émerger des synergies plutôt que des clivages.
Perspectives nationales et africaines
Avec un objectif affiché de 1 000 bénéficiaires à l’horizon 2025, Génius s’inscrit dans la lignée de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui place l’entrepreneuriat au cœur de la transformation structurelle du continent. Les sessions de Pointe-Noire ont déjà débuté, tandis qu’Oyo lancera la sienne dans les prochains jours. Pour Flavie Lombo, l’enjeu est maintenant de « passer de la formation à l’accélération », en facilitant l’accès aux marchés publics et aux chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises installées dans la zone économique spéciale de Pointe-Noire.
Dans un contexte marqué par la volatilité des matières premières, l’essor d’une génération d’entrepreneures structurées apparaît comme un relais de croissance à forte valeur ajoutée. Les huit semaines de coaching intensif n’auront donc été que la première pierre d’un édifice plus vaste : celui d’une économie congolaise où l’ambition féminine, désormais certifiée, revendique sa pleine place dans le récit national.