Le soft power numérique de la Génération Z congolaise
Tapis dans les mégabytes quotidiens qu’ils échangent à une vitesse désormais banale, les 18-25 ans d’Afrique centrale façonnent un soft power inédit. L’étude qualitative lancée par le cabinet congolais Target, conduite via des groupes de discussion virtuels, met en scène une jeunesse majoritairement urbaine, polyglotte du code et de l’emoji, qui voit dans le smartphone non plus un outil mais une extension identitaire. Les résultats intermédiaires laissent entrevoir un temps d’écran supérieur à six heures par jour, un attrait marqué pour les formats vidéo courts et une curiosité technologique qui épouse les vagues mondiales sans délai apparent. Loin d’être un simple trait de génération, cette appropriation technologique agit comme un vecteur d’influence régional, démultipliant la portée des modes vestimentaires, des slogans politiques ou des produits financiers.
Dans un espace médiatique où la télévision hertzienne reste dominante, la Génération Z se distingue pourtant par une migration quasi structurelle vers les plateformes SVoD, reflétant une volonté d’autonomie dans la construction du récit quotidien. Elle n’attend plus qu’on lui raconte le monde ; elle choisit l’algorithme qui le lui ordonne. Cette révolution silencieuse modifie la relation au contenu sponsorisé, redonnant toute sa valeur à l’influence individuelle. Selon Serge Mumbu, directeur de Target, « les signaux faibles repérés sur TikTok aujourd’hui composent la norme de consommation de demain ». Une prophétie qui n’a rien d’hasardeux si l’on considère la rapidité de diffusion des tendances identifiées dans les sept pays couverts par l’étude.
Des habitudes d’achat révélatrices d’un tournant socio-économique
Au-delà de la frénésie digitale, les chercheurs de Target documentent la matérialité des choix économiques quotidiens. Les dépenses déclarées se concentrent sur les services de données mobiles, la restauration rapide urbaine et les boissons dites “énergisantes”, secteurs dont la croissance affiche des courbes à deux chiffres depuis 2019. La préférence accordée aux moyens de paiement instantanés – du mobile money aux cartes prépayées – témoigne d’une impatience générationnelle pour les processus bancaires traditionnels. Cette dynamique pousse les banques à réviser leur grille tarifaire et à accélérer l’intégration d’interfaces conversationnelles inspirées des réseaux sociaux.
Autre ligne de force : l’avènement de l’achat guidé par le divertissement. Le “shoppertainment” n’est plus réservé aux capitales occidentales ; il infuse les halls marchands de Brazzaville, Pointe-Noire ou Kigali, où la musique, le jeu concours et la vidéo en direct se muent en déclencheurs d’achat. Le cabinet observe aussi un usage pragmatique des jeux de hasard. Loin de l’image du parieur compulsif, le jeune centre-africain investit quelques francs CFA avec la même rationalité que dans une micro-entreprise, escomptant un retour sur investissement rapide et socialement valorisé.
L’enjeu stratégique pour les décideurs publics et privés
Cette cartographie fine des comportements reconfigure les priorités des gouvernements, soucieux de stabilité macroéconomique et de cohésion sociale. À Bangui comme à Libreville, les ministères du Commerce planchent déjà sur des codes de la consommation capables d’encadrer les placements publicitaires ciblés et la promotion des jeux d’argent. Pour les entreprises multinationales, l’intérêt est plus tactique : adapter les segments de produit et les canaux de distribution afin de capter une fidélité encore malléable. La multiplication des influenceurs locaux, parfois plus prescripteurs qu’une star internationale, redistribue les cartes d’une publicité longtemps importée.
L’étude souligne que la moitié des participants associe la décision d’achat à la réputation éthique de la marque. La question de la traçabilité, autrefois cantonnée aux marchés occidentaux, devient ainsi un facteur décisif dans les villes secondaires congolaises. Faute d’y répondre, les entreprises s’exposent à un boycott numérique instantané, phénomène que les analystes de Target qualifient de “cancel éclair”. Dans ce contexte, le contenu responsable n’est plus un supplément d’âme ; il constitue le socle d’une relation commerciale durable.
Une cartographie des secteurs bancaires et pétroliers en mutation
Parallèlement à son enquête générationnelle, Target affine une radiographie des secteurs bancaire, pétrolier aval et de la grande distribution dans onze villes du Congo. L’objectif est d’évaluer l’origine du capital, la qualité de service et le degré de digitalisation pour chacun des acteurs. Les premiers retours confirment que les banques à majorité de capitaux locaux accusent un léger retard dans les offres mobiles, mais compensent par une meilleure connaissance du tissu entrepreneurial. À l’inverse, les filiales de groupes étrangers imposent des standards technologiques élevés, tout en demeurant vulnérables aux critiques sur la domiciliation des profits.
Dans l’aval pétrolier, la compétition s’intensifie entre distributeurs historiquement adossés aux majors internationales et opérateurs émergents issus d’alliances sud-sud. Les stations-service se transforment en mini-hubs commerciaux où l’on vient moins pour le carburant que pour accéder à la connectivité gratuite ou à des services de paiement. Cette hybridation des modèles économiques encadre déjà les projections d’investissement des gouverneurs de région, conscients que l’infrastructure énergétique tient lieu de colonne vertébrale logistique.
Vers une diplomatie économique axée sur la data
En publiant ses résultats en septembre, Target promet de doter les décideurs d’un outil d’anticipation rare dans une zone où la statistique publique demeure parcellaire. À la faveur d’un partenariat croisé entre ministères de la Jeunesse et chambres de commerce, les États pourraient ainsi calibrer des programmes de formation numérique alignés sur les besoins réels de l’écosystème privé. « Nous voulons passer du pilotage à vue à une gouvernance par la donnée », ambitionne Serge Mumbu lors de sa conférence de Brazzaville.
Cette bascule vers la “diplomatie des indicateurs” place l’Afrique centrale dans la trajectoire d’autres régions émergentes où la maîtrise de l’information devient levier d’influence. Les chancelleries observent avec attention le potentiel de ces nouvelles couches de données pour appuyer leurs politiques d’aide ou négocier des accords de partenariat économique. Si la Génération Z est parfois décrite comme volatile, l’étude rappelle qu’elle peut devenir une alliée stratégique, pour peu que l’on sache parler son langage : celui d’un futur proche déjà en cours de téléchargement.