La présidence sud-africaine du G20 à l’épreuve des turbulences géopolitiques
Lorsque l’Afrique du Sud a hérité du marteau de la présidence du G20, les failles de l’ordre international d’après-guerre froide paraissaient plus béantes que jamais. Entre conflits de haute intensité en Europe et au Moyen-Orient, rivalité sino-américaine réécrivant les règles du commerce mondial et accélération des catastrophes climatiques, la table du G20 s’est retrouvée au cœur d’un brouillard stratégique. Pretoria a donc choisi pour fil conducteur « Solidarité, Égalité, Durabilité », un triptyque qui vise à réaffirmer la pertinence d’un forum souvent accusé de perdre son âme au contact de la realpolitik.
Cette présidence s’inscrit aussi dans la lignée des pays du Sud – Indonésie, Inde, Brésil – qui, depuis 2022, cherchent à replacer le développement humain au centre des négociations, estimant que l’orthodoxie financière post-2008 n’a pas tenu ses promesses. L’Afrique a payé un tribut disproportionné aux chocs exogènes récents : pandémie, flambée des prix énergétiques puis impact indirect de la guerre en Ukraine. Pour des capitales comme Brazzaville, Abidjan ou Nairobi, la question n’est plus théorique : il s’agit de savoir si l’architecture économique mondialisée peut encore servir les sociétés plutôt que l’inverse.
Vers une architecture financière plus inclusive pour l’Afrique
L’encours de la dette extérieure subsaharienne a quasiment doublé en une décennie, passant de 425 à plus de 800 milliards de dollars, tandis que vingt-trois États, dont la République du Congo, dépensent davantage pour le service de la dette que pour la santé ou l’éducation (FMI, 2025). Les travaux de Pretoria pointent les limites du Cadre commun mis en place par le G20 : lenteur des négociations, coordination imparfaite entre créanciers souverains et privés et, surtout, marge de manœuvre réduite des débiteurs.
Au-delà des ajustements techniques, la présidence sud-africaine plaide pour une approche préventive de la soutenabilité, incluant le développement de marchés d’emprunt en monnaie locale capables d’absorber l’épargne domestique et d’attirer des investisseurs étrangers à moindre prime de risque. Le panel d’experts africains présidé par Trevor Manuel doit remettre, lors du sommet de Johannesburg, des recommandations opérationnelles afin d’élargir l’accès à des actifs jugés « sûrs » et de réduire un coût du capital jusqu’à cinq fois supérieur à celui observé pour les économies avancées.
Financement de l’adaptation climatique et rôle émergent des marchés du carbone
Alors que moins de 5 % des flux climatiques mondiaux ciblent l’adaptation, le continent supporte déjà une part disproportionnée des chocs thermiques et hydriques – phénomène d’autant plus paradoxal que l’Afrique ne représente qu’environ 4 % des émissions globales. Pour les États d’Afrique centrale, la sécurisation de la couverture forestière du bassin du Congo est indissociable de leurs trajectoires de croissance.
Dans ce contexte, Pretoria soutient la création d’un modèle commun de données sur les crédits carbone afin d’accroître la transparence et la liquidité d’un marché susceptible, selon la CEA, de générer jusqu’à 82 milliards de dollars de revenus annuels pour l’Afrique. L’objectif est double : attirer des investissements privés en fléchant ces ressources vers des projets d’énergie propre et d’infrastructures résilientes, tout en garantissant une rémunération équitable des services écosystémiques rendus par les forêts tropicales.
Flux financiers illicites : un frein majeur à la transformation du continent
Les pertes liées aux flux financiers illicites atteignent près de 89 milliards de dollars par an, soit 3,7 % du PIB africain (UNCTAD, 2024). Qu’il s’agisse de transfert de bénéfices, de facturation abusive ou de contrebande de matières premières, ces sorties de capitaux érodent le contrat social et réduisent l’espace budgétaire indispensable aux investissements publics. Pour Brazzaville comme pour ses voisins, chaque dollar détourné représente une salle de classe ou un lit d’hôpital en moins.
La présidence sud-africaine ambitionne de faire adopter un appel à l’action reposant sur dix principes globaux visant à renforcer la transparence, harmoniser les cadres légaux et faciliter la coopération judiciaire. L’enjeu n’est pas seulement moral : il conditionne la capacité des États à financer eux-mêmes leurs priorités stratégiques, de la diversification industrielle à la transition énergétique juste.
Restaurer la pertinence du G20 au service d’un multilatéralisme rénové
À Brookings, le gouverneur de la Banque centrale sud-africaine a appelé à une délibération « plus intentionnelle » au sein du G20, limitant le nombre de priorités afin d’obtenir des résultats tangibles. Cette philosophie s’inscrit dans la conviction qu’un multilatéralisme efficace ne se mesure pas à la longueur des communiqués, mais à la mise en œuvre de décisions susceptibles d’améliorer la vie des populations.
Si l’unanimité apparaît hors de portée dans l’environnement géopolitique actuel, des avancées sectorielles demeurent possibles : adoption de calendriers plus courts pour la restructuration de la dette, mobilisation accrue de capitaux privés pour l’adaptation, ou encore mécanismes automatiques de partage d’informations fiscales. Le succès de la présidence sud-africaine se jugera donc moins aux applaudissements diplomatiques qu’à la capacité des pays comme la République du Congo à constater, sur le terrain, une réduction de leurs vulnérabilités financières et climatiques.
En refusant que la crise devienne synonyme de paralysie, Pretoria rappelle que le G20, né d’un choc systémique, conserve la responsabilité de prévenir la prochaine tourmente. C’est à cette aune que sera évalué le legs de 2025 : non comme une parenthèse bienveillante dans un monde divisé, mais comme l’acte fondateur d’un agenda de transformation où la voix africaine, désormais plus assurée, ne saurait plus être reléguée aux marges.