L’érosion de l’aide internationale rebat les cartes du financement africain
La contraction graduelle mais continue de l’aide publique au développement, aggravée par les décisions de l’administration Trump puis par les replis budgétaires de plusieurs donateurs européens, a profondément modifié la géographie financière du continent. Selon l’OCDE, les flux d’APD vers l’Afrique ont reculé de 3,5 % en 2022 et de 7 % supplémentaires en 2023, tandis que la part des prêts concessionnels bondissait de 11 % au détriment des subventions (OCDE, 2024). Dans le même temps, la Banque mondiale et les autres banques multilatérales de développement, malgré les appels du G20 à tripler leur capacité de prêt, n’espèrent guère dépasser une augmentation de 30 % de leurs engagements d’ici 2030. Le résultat est clair : les États africains, dont la dette publique frôle en moyenne 65 % du PIB, se trouvent coincés entre un accès au marché plus coûteux et une solidarité internationale en reflux.
Une présidence sud-africaine attendue au tournant
Lorsque Pretoria a pris la présidence tournante du G20, nombre d’observateurs ont salué une occasion inédite pour le continent de mettre la question de la dette au cœur du forum. L’Afrique du Sud, seule économie subsaharienne membre permanent du groupe, dispose d’une crédibilité particulière : elle a, pendant la crise de la COVID-19, porté la revendication de la suspension temporaire des brevets sur les vaccins et plaidé pour un renforcement de l’allocation de droits de tirage spéciaux. Or, à mi-mandat, les diplomates sud-africains reconnaissent en privé que l’agenda est encombré par les tensions géopolitiques liées à la guerre en Ukraine et à la rivalité sino-américaine. Le risque est réel de voir la « fenêtre africaine » se refermer sans avancée tangible.
Multiplier l’impact des droits de tirage spéciaux : un test de leadership
Le premier levier réside dans la réallocation des 650 milliards de dollars de DTS émis par le FMI en 2021. À ce jour, à peine 100 milliards ont été redirigés vers les pays vulnérables. Pretoria pousse pour que les pays du G20 transfèrent au minimum 25 % de leurs allocations non utilisées vers le Fonds pour la réduction de la pauvreté et la croissance et vers le nouveau fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité. Une telle ambition, si elle était scellée par un communiqué final contraignant, dégagerait environ 120 milliards supplémentaires d’espace budgétaire, dont près d’un tiers pourrait bénéficier à l’Afrique selon les calculs de la Banque africaine de développement. Pretoria s’emploie également à convaincre ses partenaires d’autoriser les banques multilatérales à accepter les DTS comme capital de garantie, innovation technique qui amplifierait l’effet de levier des émissions existantes.
Rationaliser le cadre commun de traitement de la dette
Au-delà de la liquidité immédiate, le G20 s’est doté d’un Cadre commun censé coordonner créanciers publics traditionnels et émergents. Mais la lenteur de sa mise en œuvre – dix-huit mois pour conclure un accord sur la Zambie – l’a rendu politiquement toxique. L’Afrique du Sud tente de faire adopter un protocole de ‘gel automatique des paiements’ dès l’ouverture des négociations et la définition de clauses d’action collective uniformisées pour les euro-obligations. L’objectif est double : accroître la prévisibilité pour les investisseurs et réduire le risque de contagion sur les primes de risque souverain. Des discussions exploratoires avec la Chine et l’Inde laissent entendre qu’un compromis sur un moratoire de principe de six mois pourrait voir le jour, moyennant l’engagement des pays bénéficiaires à publier l’intégralité des contrats de dette bilatérale.
Mobiliser les ressources domestiques sans étrangler la croissance
Même si l’agenda international progresse, la soutenabilité de long terme passe par une mobilisation accrue des ressources internes. L’Union africaine s’est fixée la cible ambitieuse de financer 75 % de ses besoins de développement sur fonds domestiques d’ici 2063. Pretoria plaide pour un ‘pacte d’assistance technique’ liant l’OCDE, le FMI et l’Union africaine afin d’harmoniser les cadres fiscaux, d’élargir l’assiette de TVA et de lutter contre les flux financiers illicites estimés à plus de 88 milliards de dollars par an selon la CEA. L’initiative inclurait un mécanisme de « peer-review » régional piloté par la Banque africaine de développement, inspiré du modèle de l’APRm, afin de surveiller la progression des réformes sans imposer de conditionnalités rigides qui pénaliseraient la reprise post-pandémie.
Tour d’horizon final : une fenêtre diplomatique étroite mais décisive
À moins d’un semestre du sommet final à Johannesburg, la présidence sud-africaine dispose encore d’un capital politique précieux : la sympathie des pays du Sud global, l’alignement circonstanciel de l’Union européenne qui cherche à stabiliser son voisinage, et l’appui discret des institutions de Bretton Woods désireuses d’accroître leur pertinence. Son défi est maintenant de convertir cette convergence en décisions mesurables sur les DTS, le Cadre commun et la mobilisation domestique. Comme le confiait récemment un négociateur brésilien : « Le succès du G20 ne se mesurera pas aux pages du communiqué, mais aux points de base économisés par l’Afrique sur ses émissions obligataires. » Pretoria joue donc gros : si elle parvient à arracher un accord, elle établira un précédent pour les futures présidences issues du Sud. Dans le cas contraire, la décennie 2020 pourrait bien rester, pour l’Afrique, une interminable succession de semaines où ‘décennies’ de développement se seront envolées.