Une signature autrichienne qui redéfinit la stratégie forestière congolaise
À première vue, la salle feutrée d’un palace viennois semble éloignée des latérites rouges d’Oyo-Ollombo. Pourtant, c’est bien là, dans la capitale autrichienne, que Brazzaville a scellé un protocole d’accord susceptible de rebattre les cartes de sa politique forestière et industrielle. Le 23 juin, les ministres Jean-Marc Thystère-Tchicaya et Rosalie Matondo ont paraphé, aux côtés de Karl Ernst Kirchmayer pour ASC-Impact, un document qui engage la République du Congo sur un chantier aussi ambitieux que sensible : convertir une fraction de sa Zone économique spéciale (ZES) du nord du pays en vitrine de l’économie bas carbone.
Diversifier une économie sous perfusion pétrolière
Depuis une décennie, la diversification demeure le mantra officiel de Brazzaville. Mais la manne pétrolière, volatile et dominante, a longtemps relégué les projets hors hydrocarbures au second plan. Sous la pression combinée d’un marché pétrolier erratique, de la dette publique et des bailleurs multilatéraux, l’exécutif congolais tente désormais de transformer les ZES en passerelles vers une croissance moins carbonée. L’accord de Vienne promet, selon les parties, un investissement initial de 100 millions d’euros pour le seul reboisement, auxquels s’ajouteraient « plusieurs centaines de milliers d’euros » d’infrastructures industrielles. Ce signal budgétaire, certes modeste à l’échelle des besoins nationaux, alimente néanmoins le récit d’une transition économique qui ne se résumerait plus à la seule réduction de la dépendance pétrolière mais à la création de chaînes de valeur forestières intégrées.
Reboiser, afforester, transformer : la promesse d’un triptyque vertueux
Le protocole décline un triptyque que les investisseurs étrangers affectionnent : reboisement de zones dégradées, afforestation sur terrains en friche et industrialisation locale du bois. Sur le papier, l’implantation d’une scierie, d’unités de déroulage et d’une future usine de pâte à papier devrait structurer l’amont et l’aval de la filière. « Nous ne voulons plus exporter des grumes brutes, mais de la valeur ajoutée et des emplois », insiste une source à l’Agence de promotion des ZES. Reste à vérifier que les quotas de prélèvement forestier, la traçabilité des essences et la certification FSC ou PEFC, évoquées du bout des lèvres, seront effectivement respectés dans un pays où la gouvernance forestière demeure perfectible.
Le carbone, nouvelle devise diplomatique
Au-delà du bois transformé, Brazzaville parie sur les crédits carbone comme levier financier. Dans un contexte où l’Union européenne resserre les exigences du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la perspective d’émettre des tonnes de CO₂ évité attire capitaux à impact et fonds souverains. ASC-Impact, qui multiplie les projets forestiers en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, entend valoriser chaque hectare reboisé d’Oyo-Ollombo sur les marchés volontaires. « Les forêts d’Afrique centrale restent l’un des rares puits de carbone d’envergure encore sous-cotés », rappelle un négociateur européen ayant suivi le dossier. Pour le Congo, c’est la possibilité de monétiser son couvert forestier sans hypothéquer sa souveraineté, à condition que la comptabilité carbone satisfasse les standards de l’ONU.
Diplomatie multipartite : de Heinz Fischer à Elisabeth Köstinger
La photo de famille autour du protocole inclut Heinz Fischer, ancien chef de l’État autrichien, et Elisabeth Köstinger, ex-ministre des Forêts à Vienne, signe que la négociation excède la simple sphère commerciale. En s’affichant auprès de personnalités européennes engagées sur le climat, Brazzaville espère amadouer Bruxelles, toujours plus scrupuleuse sur l’origine des bois importés. L’ambassadrice Edith Itoua, pour sa part, fait valoir que l’accord traduit « une diplomatie verte proactive », loin des sommets climat aux promesses rarement suivies d’effets.
Impact local : emploi et acceptabilité sociale en question
Les projections officielles évoquent la création de milliers d’emplois directs et indirects, sans préciser la ventilation entre main-d’œuvre qualifiée et travail saisonnier. Or, dans la Cuvette, département où se situe la ZES, le chômage des jeunes et la pauvreté rurale favorisent un exode constant vers Brazzaville. Les autorités assurent que des programmes de formation, en partenariat avec l’Institut national de la forêt et du bois, accompagneront le projet. Les organisations locales de la société civile attendent néanmoins des garanties sur la consultation des communautés, la répartition des revenus du carbone et l’accès aux terres coutumières. Une représentante d’ONG confie que « le diable se cache dans les annexes techniques » : clauses de partage des bénéfices, normes de travail et gestion des conflits d’usage pourraient décider du sort social de l’initiative.
Entre scepticisme et opportunité : la communauté internationale observe
Les bailleurs multilatéraux saluent un pas vers la neutralité carbone, tout en rappelant, à l’instar de la Banque mondiale, que le Congo figurait encore récemment parmi les pays à « risque élevé de corruption systémique ». De son côté, Paris suit le dossier avec intérêt, jugeant le protocole compatible avec l’Alliance pour la préservation des forêts du Bassin du Congo lancée en 2021. Pour l’instant, l’accord demeure une feuille de route. Son exécution concrète requerra un suivi indépendant, des audits environnementaux et une révision périodique des indicateurs de performance. Sans ces garde-fous, l’initiative pourrait rallonger la liste des partenariats annoncés à grand renfort de communiqués, puis vite rangés au rayon des occasions manquées.
Cap sur Oyo-Ollombo : un test grandeur nature pour la souveraineté climatique congolaise
Au terme de cette semaine viennoise, Brazzaville revient avec un accord assorti de promesses budgétaires, diplomatiques et environnementales. Le chantier d’Oyo-Ollombo, prévu pour démarrer dès 2025, servira de baromètre : si le triptyque reboisement–industrialisation–crédits carbone s’y concrétise, la ZES deviendra la preuve que les États forestiers du Sud peuvent conjuguer souveraineté, attractivité et préservation des écosystèmes. Dans le cas inverse, l’épisode viennois s’ajoutera à la longue chronique des mirages verts. L’avenir proche dira si le Congo transforme l’essai et si Vienne restera le décor inaugural d’une diplomatie forestière enfin pragmatique.