Une réception qui dépasse le protocole
Lorsqu’il a convié les Lionnes de l’Atlas au Palais Royal de Rabat le 30 juillet, le Roi Mohammed VI n’a pas seulement célébré un parcours sportif. En saluant « la détermination d’une génération qui honore la femme marocaine », le souverain a transformé la médaille d’argent de la Coupe d’Afrique des Nations TotalEnergies 2024 en message politique. Selon une source diplomatique présente lors de l’audience, « le Palais a voulu signifier que l’égalité femmes-hommes ne relève plus du slogan, mais d’une réalité visible aux yeux du continent ».
La scène, minutieusement relayée par les médias nationaux et internationaux, ancre la réussite footballistique dans une stratégie de soft power rodée. Depuis plusieurs années, Rabat affine l’art d’amalgamer faste monarchique et narration progressiste : l’image d’un Roi entouré d’athlètes voilées ou non, unies autour du drapeau, illustre la modernité inclusive que le Maroc souhaite projeter.
De la politique sportive à l’ingénierie sociale
Le virage opéré en 2019 par la Fédération royale marocaine de football, sous l’impulsion du ministre délégué Fouzi Lekjaa, repose sur une architecture budgétaire qui flèche près de 150 millions de dirhams par an vers le football féminin. Des ligues régionales ont été créées, les centres de formation adossés à l’Académie Mohammed VI ont ouvert leur porte aux jeunes filles, et chaque club inscrit reçoit une dotation suffisante pour salarier au moins vingt-cinq joueuses (direction technique de la FRMF).
Les effets sont mesurables : finales successives de la CAN 2022 et 2024, huitième de finale historique au Mondial 2023, trophée continental de futsal féminin en 2025, et sur la scène des clubs la Ligue des champions remportée en 2022 par l’AS FAR, aussitôt relayée par le Sporting Club de Casablanca finaliste en 2023. Ces performances traduisent un rattrapage accéléré, mais surtout une volonté d’adosser la réussite sportive à un récit d’émancipation nationale.
Sport, genre et rayonnement externe
Le Maroc place de longue date la diplomatie sportive au cœur de son dispositif d’influence africaine. En soutenant l’organisation de tournois féminins à Rabat, Tanger ou Laâyoune, il attire les fédérations voisines, stimule les échanges de techniciens et inscrit son drapeau dans la mémoire visuelle d’une jeunesse continentale marquée par les réseaux sociaux. « La présence d’images royales sur des comptes TikTok nigérians ou kényans prolonge le travail des chancelleries », observe un analyste basé à Addis-Abeba.
Cette stratégie s’insère dans le cadre plus vaste de la candidature conjointe Maroc-Espagne-Portugal au Mondial 2030. Encourager la performance féminine offre au dossier chérifien un argument de modernité et d’inclusivité, des critères prisés par la FIFA. L’objectif est double : consolider la stature sportive du pays et amplifier son influence diplomatique, notamment auprès des chefs d’État africains, dont le président congolais Denis Sassou Nguesso, régulièrement convié aux grands rendez-vous sportifs du Royaume.
Effets d’entraînement pour l’Afrique centrale
À Brazzaville, les techniciens de la Fédération congolaise de football étudient avec intérêt le modèle de financement par paliers adopté au Maroc. Selon un responsable chargé du développement du football féminin, « la clé est un partenariat État-secteur privé qui sécurise les salaires des joueuses ». Le Congo, qui mise sur la jeunesse pour diversifier son image, pourrait s’inspirer du cas marocain afin de préparer les prochains Jeux africains.
L’argument du soft power n’échappe pas aux stratèges du ministère congolais des Sports. Dans un contexte sous-régional en quête de stabilité, ériger le sport féminin en vitrine de progrès sociétal permet de compléter l’action diplomatique traditionnelle et de soutenir la politique d’égalité prônée par le président Sassou Nguesso. Rabat offre ainsi un laboratoire dont Brazzaville peut adapter les recettes sans renoncer à ses spécificités culturelles.
Un laboratoire continental à surveiller
S’il convient de rappeler que le football féminin marocain reste en phase de consolidation – les championnats locaux peinent encore à attirer un public régulier – la trajectoire demeure instructive. En cinq ans, une volonté politique claire, un investissement ciblé et un récit unificateur ont suffi à transformer une discipline confidentielle en argument diplomatique majeur. Les observateurs de l’Union africaine y voient un signe de l’évolution des leviers d’influence sur le continent : demain, la conquête des cœurs passera autant par les terrains que par les sommets diplomatiques.
Pour les partenaires du Royaume, la réception royale du 30 juillet apparaît moins comme un aboutissement que comme une étape. La CAN féminine 2026 se profile déjà, et avec elle la perspective d’une nouvelle démonstration sportive et diplomatique. Entre-temps, la candidature au Mondial 2030 offrira au Maroc d’autres occasions de mettre en scène l’alignement entre ambitions internes et projection internationale. Les Lionnes de l’Atlas, elles, savent qu’en dribblant leurs adversaires elles participent aussi à redessiner la carte géopolitique africaine.