Sur les rives d’un carrefour oublié
Au crépuscule d’une saison sèche inhabituellement longue, les autorités congolaises ont donné, à Brazzaville, le coup d’envoi officiel du projet de balisage du fleuve Oubangui. Ce cours d’eau, longtemps perçu comme un simple affluent du majestueux Congo, redevient ainsi un axe marchand de premier plan. En présence du ministre d’État chargé des Transports, Fidèle Dimou, et de représentants de la Commission du bassin Congo-Oubangui-Sangha, la cérémonie a illustré la volonté de l’exécutif d’inscrire la navigation intérieure dans une stratégie logistique cohérente. « L’Oubangui n’est pas une frontière, c’est un pont », a rappelé un diplomate de la CEMAC, soulignant l’importance symbolique d’un projet qui réactive une mémoire commerciale datant de l’époque coloniale.
Un chantier technique au service de la relance économique
Avec près de 650 balises lumineuses et réflectrices, le programme vise à sécuriser quelque 1 200 kilomètres de chenal entre Bangui et la confluence de Malebo. Les ingénieurs de l’Agence nationale de la navigation intérieure ont retenu des dispositifs photovoltaïques pour réduire les coûts de maintenance et limiter les interruptions de service, un choix salué par la Banque de développement des États d’Afrique centrale, principal bailleur. Les autorités estiment que le temps de parcours fluvial entre la capitale centrafricaine et Brazzaville pourrait être réduit de dix jours à six, diminuant de près de 35 % la facture de transport des denrées agricoles. Les opérateurs pétroliers y voient également l’opportunité de réorienter une partie de leurs flux logistiques aujourd’hui congestionnés sur la route Pointe-Noire – Ouesso.
Gouvernance fluviale et coopération sous-régionale
Au-delà de l’enjeu purement infrastructurel, le balisage remet sur le devant de la scène la question de la gouvernance partagée des voies navigables. Un protocole d’entente tripartite, signé en mars à Libreville entre le Congo, la République centrafricaine et la RDC, prévoit une répartition transparente des redevances de passage et la mise en place d’un centre commun de surveillance hydrométrique. Pour Brazzaville, cette diplomatie des fleuves s’inscrit dans la continuité du plaidoyer présidentiel en faveur d’une « économie bleue » régionale. Des analystes notent que cette approche consolide la position du Congo comme pivot logistique, tout en renforçant la solidarité politique dans une zone encore marquée par des turbulences sécuritaires.
Un signal pour les investisseurs internationaux
Le chantier envoie un message clair aux investisseurs : la République du Congo mise sur la stabilité réglementaire et la modernisation de ses couloirs de transport. Plusieurs firmes asiatiques spécialisées dans les dragues fluviales ont manifesté leur intérêt pour la deuxième phase, consacrée à l’approfondissement des hauts-fonds de Kotto. De son côté, l’Union européenne, via son Instrument de voisinage, propose un partenariat technique autour de la numérisation des cartes bathymétriques. Selon un consultant basé à Abidjan, « le balisage constitue un prérequis pour attirer les opérateurs logistiques globaux, et réduire la prime de risque perçue sur la région ».
Gestion environnementale et résilience climatique
Si le projet se veut catalyseur économique, il n’élude pas la dimension écologique. Le ministère de l’Environnement a imposé un système de suivi des populations de lamantins et de tortues à carapace molle, espèces sentinelles de la qualité du fleuve. Parallèlement, un accord conclu avec l’Agence française de développement prévoit la plantation de 200 000 arbres dans les zones ripariennes fragilisées, afin de limiter l’érosion. Les climatologues soulignent toutefois que la baisse du débit de l’Oubangui, observée depuis 2016, pourrait imposer une adaptation périodique des profondeurs de chenal. La mise en place d’un observatoire climatique commun permettra d’ajuster la signalisation en temps quasi réel, gage de résilience face aux aléas hydrologiques.
Horizon 2030 : retombées pour la diplomatie congolaise
À court terme, le gouvernement anticipe une hausse de 20 % du trafic fluvial, avec des effets multiplicateurs sur l’emploi portuaire et la fiscalité locale. Mais l’enjeu dépasse la comptabilité immédiate. Dans les cercles diplomatiques, nombreux sont ceux qui interprètent le balisage comme un test grandeur nature pour la capacité des États d’Afrique centrale à coopérer dans la gestion de leurs biens communs. L’engagement financier de Brazzaville, combiné à un calendrier de mise en œuvre resserré, nourrit une image de fiabilité qui pourrait peser favorablement lors des négociations sur la Zone de libre-échange continentale. En scellant la convergence des intérêts économiques et environnementaux, le balisage de l’Oubangui s’érige ainsi en vitrine d’un multilatéralisme pragmatique porté par la présidence congolaise.