Les fondamentaux économiques sous la loupe des marchés
La confirmation par Fitch Ratings de la note souveraine « CCC » place le Gabon dans la catégorie des débiteurs vulnérables, capables d’honorer leurs engagements uniquement si les conditions restent favorables. L’agence souligne certes un revenu par habitant supérieur à la moyenne d’Afrique subsaharienne, mais rappelle que ce socle est assis sur une base étroite : l’exploitation des hydrocarbures. Dans la lecture des investisseurs institutionnels, le double handicap formé par la volatilité des cours du Brent et les insuffisances récurrentes de la gestion publique continue donc de neutraliser l’avantage tiré de la manne pétrolière.
Un héritage budgétaire lesté par le cycle électoral
La trajectoire budgétaire de Libreville reste dominée par un réflexe de relance à court terme à l’approche des échéances politiques. Pour 2024, Fitch anticipe une augmentation des dépenses publiques de l’ordre de 15 %, traduction d’une générosité qualifiée de « pré-électorale ». Salaires de la fonction publique et programmes d’infrastructures routières absorbent l’essentiel de la hausse, creusant un déficit estimé à 2,5 % du PIB. Au palais du bord de mer, on admet que « l’effet vitrine des chantiers reste un passage obligé dans un pays où le vote demeure très sensible à la visibilité des investissements publics », confie un conseiller présidentiel.
La dépendance pétrolière, talon d’Achille structurel
Le déclin progressif des gisements matures d’Anguille et de Rabi, conjugué aux fluctuations des prix internationaux, expose le budget à des chocs récurrents. Près de 40 % des recettes fiscales proviennent encore des hydrocarbures, un ratio jugé « préoccupant » par la Banque africaine de développement. Les tentatives de diversification vers le manganèse et la filière bois peinent à compenser les pertes anticipées sur l’or noir. Le ministère de l’Économie promet une réforme du régime fiscal minier d’ici la fin de l’année, mais le secteur privé doute de la capacité de l’administration à sécuriser des flux réguliers hors pétrole sur le moyen terme.
Options de financement et arbitrages diplomatiques
À la différence d’autres émetteurs notés « CCC », le Gabon dispose encore d’un accès restreint aux marchés sous-régionaux de la CEMAC. Pourtant, le durcissement monétaire de la BEAC a renchéri le coût des adjudications, compliquant la gestion de trésorerie quotidienne. Libreville sollicite donc davantage les bailleurs multilatéraux. L’élection présidentielle sans contestation majeure a, selon Fitch, rouvert la porte à des crédits concessionnels. Les négociations avec le Fonds monétaire international pour un nouvel accord élargi se poursuivent discrètement ; un diplomate européen y voit « un test de crédibilité » pour l’équipe économique, soumise à l’obligation de publier un audit indépendant des arriérés intérieurs.
Perspectives de réforme fiscale et crédibilité politique
Le gouvernement affiche l’objectif d’un retour à l’équilibre primaire dès 2026, hors dépenses d’investissement. Pour y parvenir, un volet de réformes fiscales est sur la table : numérisation de la collecte douanière, fiscalisation progressive de l’économie informelle et révision des exonérations accordées aux zones franches. La doctrine officielle insiste sur « l’élargissement de l’assiette plutôt que la hausse des taux ». Les partenaires techniques saluent l’ambition mais doutent de la capacité à neutraliser les réseaux d’intérêts qui, depuis des années, érodent le rendement de l’impôt. « La crédibilité repose autant sur la discipline que sur la transparence », rappelle un expert du FMI présent lors de la dernière mission d’évaluation.
De la notation à la négociation : marge de manœuvre régionale
Si la dette publique devrait se stabiliser autour de 75 % du PIB à l’horizon 2026, cette apparente accalmie masque deux dynamiques préoccupantes : d’une part, la contraction attendue du PIB nominal sous l’effet de la baisse des cours du pétrole ; d’autre part, la montée des arriérés, évalués par Fitch à 2,8 % du PIB. Dans la configuration actuelle, chaque choc externe – qu’il soit sanitaire, sécuritaire ou climatique – risque de faire basculer la balance budgétaire, réduisant la capacité d’intervention de l’État.
Sur le plan diplomatique, Libreville tire parti de sa position charnière entre l’Afrique centrale et le golfe de Guinée pour diversifier ses alliances financières. La signature récente d’un accord de swap de devises avec la Chine, encore confidentiel, témoigne d’une stratégie d’adossement progressif aux partenaires non traditionnels. Reste que la notation « CCC », en pesant sur les primes de risque, limite la portée de ces ouvertures. En définitive, la transition d’un modèle extractif vers une architecture budgétaire soutenable obligera le Gabon à conjuguer réforme interne, discipline politique et diplomatie économique, sans quoi les fondations resteront friables et la marge de manœuvre, étroite.