Brazzaville, nouvelle étape obligée d’un circuit financier discret
À l’abri des flashes, la capitale congolaise a vu défiler ces derniers mois un aéropage de financiers internationaux, parmi lesquels Dominique Strauss-Kahn, consultant courtisé sur les questions de soutenabilité de la dette, mais aussi des délégations de JP Morgan et de Société Générale. Cette effervescence feutrée traduit l’intérêt renouvelé des grandes places de capitaux pour une économie congolaise en phase d’ajustement post-crise pétrolière. Aux salons lambrissés du ministère des Finances, les échanges se sont concentrés sur la consolidation budgétaire et la poursuite des réformes convenues avec le Fonds monétaire international, accord prolongé en 2023 dans un climat de confiance affiché par les partenaires (Département communication, ministère des Finances).
Un cadre macroéconomique stabilisé salué par les bailleurs
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, le gouvernement a opté pour une discipline budgétaire strictement encadrée, combinant rationalisation de la dépense et relance ciblée des investissements structurants. La croissance, qui a retrouvé un terrain positif à 3,4 % en 2023 selon la Banque des États de l’Afrique centrale, rassure les banquiers quant à la capacité du Trésor à honorer ses engagements. « Le Congo démontre une trajectoire réaliste, sans promesse irréaliste de croissance à deux chiffres », confie un analyste de JP Morgan ayant requis l’anonymat. Pour les observateurs diplomatiques, cette prudence est perçue comme un gage de sérieux, contrastant avec les emballements parfois observés dans la sous-région.
La dette intérieure, baromètre de crédibilité gouvernementale
La question des arriérés locaux constituait jusqu’ici le principal irritant des discussions. Le plan d’apurement présenté en conseil de cabinet début 2024 propose un calendrier étalé sur trois exercices, adossé à une enveloppe budgétaire pré-engagée et à un mécanisme d’échanges obligataires. Dominique Strauss-Kahn, sollicité pour son expérience des restructurations souveraines, aurait plaidé pour « une architecture contractuelle souple mais crédible », selon un haut fonctionnaire congolais proche du dossier. Les créanciers commerciaux saluent la démarche, y voyant un signal qu’aucune catégorie de créanciers n’est marginalisée, condition sine qua non à la réouverture totale du marché.
Diversification économique et diplomatie des ressources
Au-delà du secteur pétrolier, qui représente encore plus de la moitié des recettes d’exportation, Brazzaville déploie une stratégie de diversification axée sur l’agro-industrie, le bois transformé et les infrastructures logistiques. Des protocoles d’accord signés en janvier avec des groupes asiatiques pour la modernisation du port de Pointe-Noire illustrent cette volonté. L’objectif est double : réduire la vulnérabilité aux fluctuations du Brent et faire de la plateforme côtière un hub régional, argument massue dans la communication économique internationale présentée par la diplomatie congolaise lors du sommet Africarail & Ports 2024 à Abidjan.
Un environnement réglementaire en mutation surveillé de près
Les banques étrangères s’attardent désormais sur le cadre réglementaire renouvelé. L’adoption d’un nouveau code des investissements, associant des incitations fiscales temporaires et des clauses de stabilité, figure au rang des avancées les plus commentées. Société Générale, acteur historique, évalue déjà l’élargissement de ses lignes de crédit destinées aux PME locales, conditionnant toutefois leurs décaissements à la consolidation numérique de la chaîne de paiement publique pour limiter les risques de retard. Ce type de prudence s’inscrit dans les recommandations de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, qui exhorte ses États membres à intensifier leurs efforts de transparence.
Indispensables contreparties sociales d’une orthodoxie budgétaire
Les autorités congolaises insistent sur le caractère inclusif des réformes. Selon le ministre délégué en charge du Plan, les dépenses sociales représentent désormais près de 40 % du budget 2024, effort salué par la Banque mondiale qui recommande de « préserver les filets de sécurité » dans un contexte de rééquilibrage budgétaire. Les partenaires financiers partagent l’idée qu’une stabilité sociale robuste est la meilleure assurance-vie des investissements directs étrangers. Les prochaines évaluations porteront donc autant sur les agrégats macroéconomiques que sur la montée en puissance des programmes de protection sociale, notamment le Fonds d’appui aux couches vulnérables récemment opérationnel.
Vers une normalisation du dialogue marché-État
Au terme de ces rencontres, l’impression dominante reste celle d’un Congo-Brazzaville engagé dans une normalisation progressive de son rapport aux marchés. Là où le pays cherchait naguère à convaincre, il s’attache désormais à consolider. « Notre tâche n’est plus de prouver que nous existons, mais de montrer que nous tenons parole », résumait récemment le directeur général du Trésor public devant le corps diplomatique. La présence simultanée de cabinets conseil de Bruxelles, de banques de Wall Street et d’institutionnels africains souligne que la partie se joue désormais moins sur la scène médiatique que dans l’arène technique des échéanciers, des clauses de liquidité et des ratings. Cette évolution, méthodique et mesurée, conforte Brazzaville dans son ambition d’émerger, à moyen terme, comme un interlocuteur incontournable des allocations de capitaux en Afrique centrale.