Séville au carrefour de la réforme financière mondiale
Du 30 juin au 3 juillet, Séville s’est muée en forum planétaire où diplomates, ministres des finances et représentants du secteur privé ont confronté leurs visions sur le financement des Objectifs de développement durable. Dans la lignée des conférences de Monterrey et d’Addis-Abeba, ce quatrième rendez-vous onusien a pris une tonalité particulière : l’urgence climatique, les tensions géopolitiques et les séquelles économiques post-pandémiques exercent une pression sans précédent sur les équilibres budgétaires. Les délégations ont reconnu qu’au rythme actuel, le déficit annuel de financement des ODD, estimé à 4 000 milliards de dollars, ne pourra être comblé sans une refonte profonde des mécanismes de mobilisation des ressources.
Le plaidoyer marocain pour une croissance partagée
Fort du mandat royal, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch a rappelé que le développement n’a de sens que s’il profite à l’ensemble du tissu social, notamment les populations rurales et les jeunes urbains en quête d’un avenir digne. Au-delà de l’élargissement de l’assiette fiscale et de la lutte renforcée contre la fraude, Rabat mise sur l’ancrage de la soutenabilité environnementale : la généralisation de la couverture santé, la réforme du secteur de l’éducation et le chantier de l’habitat social sont autant de leviers destinés à convertir la croissance économique en progrès humain.
Une architecture financière internationale à revisiter
La conférence a acté un constat de plus en plus partagé : la gouvernance actuelle des flux financiers internationaux, façonnée dans un contexte d’après-guerre, ne répond plus à la sophistication des besoins contemporains. Les orateurs africains ont exprimé le souhait de voir des mécanismes de garanties plus flexibles, une meilleure représentation des économies émergentes au sein des instances de décision des institutions de Bretton Woods et la canalisation d’allocations de droits de tirage spéciaux vers les projets climatiques. Les représentants de l’Union européenne, tout en réaffirmant leur engagement, ont reconnu la nécessité d’outils hybrides capables de combiner capitaux publics, investissements privés et dispositifs assurantiels innovants.
L’Afrique centrale en quête d’alignement stratégique
Pour les pays d’Afrique centrale, le débat revêt un enjeu particulier : comment financer des plans de développement qui intègrent simultanément diversification économique et transition énergétique ? À Brazzaville, le Président Denis Sassou Nguesso a placé la lutte contre la vulnérabilité financière au cœur du Plan national de développement 2022-2026. La consolidation budgétaire, la digitalisation de l’administration et la mobilisation accrue de partenariats public-privé témoignent d’une volonté de passer d’une économie fortement dépendante des hydrocarbures à un modèle plus résilient et inclusif. Séville a offert une tribune pour souligner ces avancées et obtenir un soutien multilatéral accru aux projets verts liés au Bassin du Congo.
Des réformes nationales aux coalitions multilatérales
La stratégie détaillée par le Maroc s’inscrit dans une dynamique continentale où chaque État renforce ses propres instruments avant de négocier collectivement des conditions plus favorables. Rabat expérimente un impôt sur les sociétés modulé selon la performance environnementale, tandis que Kinshasa et Brazzaville avancent sur la centralisation des recettes douanières via des plateformes numériques régionales. Ces mutations internes, en augmentant la transparence et la soutenabilité de la dette, constituent des arguments décisifs pour capter des capitaux concessionnels ou semi-concessionnels auprès des banques multilatérales de développement.
Le secteur privé comme catalyseur d’impacts
Le dialogue sévillan a mis en lumière la montée en puissance des marchés de capitaux africains. Casablanca Finance City et la Bourse de Douala entendent lancer des obligations vertes, tandis que des fonds d’investissement à impact, tel l’African Development Partners III, ciblent désormais les petites et moyennes entreprises à fort potentiel social. Les États, de leur côté, affinent les cadres juridiques afin de sécuriser les investisseurs et de garantir que les retombées locales – transferts de technologies, création d’emplois qualifiés et renforcement des chaînes de valeur régionales – soient au rendez-vous.
Vers Séoul 2025 : la feuille de route africaine
La prochaine étape décisive sera la conférence de Séoul en 2025, où un nouveau pacte mondial sur le financement du développement pourrait voir le jour. D’ici là, les capitales africaines affinent leurs positions : convergence réglementaire pour faciliter les flux transfrontaliers, priorisation des infrastructures numériques et verts, et création d’indicateurs communs pour mesurer l’inclusivité de la croissance. Le Maroc, tout comme le Congo-Brazzaville, considère que la crédibilité de l’Afrique dépendra de sa capacité à parler d’une seule voix et à démontrer, chiffres à l’appui, que chaque dollar investi sur le continent se traduit par un dividende triple : humain, environnemental et géostratégique.