Douala met en scène la consécration d’un champion régional
Les salons climatisés de l’hôtel Akwa Palace résonnaient encore des applaudissements nourris lorsque le verdict est tombé : Prometal s’adjuge non pas un, mais deux trophées lors de la troisième édition de la Finance Week organisée par EcoMatin. Le jury, composé de régulateurs financiers, de banquiers d’investissement et de représentants d’organisations multilatérales, a distingué le groupe camerounais pour sa « trajectoire exceptionnelle dans le paysage industriel d’Afrique centrale ». Tandis que des pays de la sous-région peinent à sortir du piège des rentes extractives, la sidérurgie camerounaise, emmenée par Prometal, s’offre le luxe de jouer la carte de la valeur ajoutée.
Une architecture industrielle pensée à l’échelle de la CEMAC
Le Prix du Leadership de l’Investissement Industriel en zone CEMAC ne relève pas de la simple rhétorique diplomatique. S’étendant bien au-delà de ses frontières d’origine, Prometal a, en 2024, posé les premières pierres d’une usine sidérurgique dans la zone franche de Nkok, au Gabon, pour un montant de 30 milliards de FCFA. Aux yeux des observateurs, l’initiative illustre une stratégie d’intégration productive qui répond aux carences chroniques de la sous-région en aciers longs et en fil machine. En misant sur la complémentarité des ressources – le Gabon dispose d’un port en eau profonde, le Cameroun concentre la demande infra-structurelle – le groupe anticipe la mise en œuvre du Tarif extérieur commun de la CEMAC et, à terme, de la ZLECAf.
Investissements : le pari du volume et de la montée en gamme
Dans la capitale économique camerounaise, 2024 aura été un millésime prolifique. L’inauguration simultanée de Prometal 4 et Prometal 5, à Douala, ajoute plus de 57 milliards de FCFA d’investissement à un portefeuille déjà imposant. Prometal 4 propulse le pays au rang de premier producteur de fil machine d’Afrique subsaharienne avec 360 000 tonnes annuelles, une capacité stratégiquement calibrée pour absorber la reconstruction post-Covid et les vastes chantiers publics – ponts, stades et barrages – qui quadrillent la carte du pays. Prometal 5, pour sa part, délivre 600 000 bouteilles de gaz domestique chaque année, soit la moitié au-delà des besoins nationaux, scellant la bascule du Cameroun de pays importateur à exportateur net sur ce segment sensible pour la sécurité énergétique des ménages.
Hayssam El Jammal, stratège discret et primus inter pares
Récompensé par le Prix du Leadership Industriel au Cameroun, le PDG Hayssam El Jammal a reçu son trophée des mains du gouverneur de la BEAC. Ce fils de commerçants, arrivé à Douala dans les années 1990, cultive un goût prononcé pour la sobriété médiatique. Pour autant, ses chiffres parlent : plus de 200 milliards de FCFA d’investissements cumulés et une capitalisation sociale portée de 20 à 25 milliards en 2024. La Cobac vient d’ailleurs de classer Prometal « Entreprise de grand standing et d’importance nationale », un label rarement accordé à un acteur non financier. « Je suis flatté, mais c’est surtout un appel à intensifier nos efforts pour industrialiser la sous-région », a-t-il confié, le visage impassible, aux journalistes rassemblés.
La sidérurgie au cœur de la souveraineté économique camerounaise
Au-delà des trophées, le groupe déroule une vision articulée autour de la substitution aux importations. Les études de faisabilité de PROALU, unité intégrée de transformation bauxite–alumine–aluminium de 88 milliards de FCFA, sont en phase terminale. En parallèle, un cluster sidérurgique dédié au minerai de fer est envisagé dans l’enceinte portuaire de Kribi. Ces projets, s’ils se concrétisent, réduiront la dépendance aux intrants importés, donnant corps à l’ambition présidentielle d’industrialisation lourde. Dans un contexte où la volatilité des chaînes d’approvisionnement internationales a été mise en lumière par la pandémie puis par les tensions maritimes en mer Rouge, cette orientation n’est pas anecdotique.
Enjeux réglementaires et diplomatie économique régionale
Le succès de Prometal n’échappe cependant pas aux impératifs de gouvernance. La récente révision des textes de la CEMAC sur la concurrence impose une vigilance accrue face aux positions dominantes. Des voix, à Libreville comme à Bangui, redoutent un « effet d’éviction » pour les aciéries naissantes. Le ministère camerounais du Commerce assure que « la consolidation du tissu productif prime, tant que le marché reste compétitif ». En filigrane, Douala teste sa capacité à se poser en faiseur de normes industrielles régionales, un rôle longtemps dévolu à Abidjan ou Johannesburg.
Perspectives : du local au continental
L’intronisation de Prometal au panthéon de la Finance Week 2025 intervient alors que la ZLECAf entre dans sa phase opérationnelle. Selon la CEA, les besoins en acier du continent devraient dépasser 50 millions de tonnes par an d’ici 2030. Dans cette perspective, la capacité de Prometal à exporter des produits conformes aux standards ASTM et ISO pourrait faire du Cameroun une « petite Corée sidérurgique » de la région, pour reprendre l’expression d’un diplomate européen en poste à Yaoundé. Reste à savoir si l’accès à une énergie compétitive – facteur essentiel dans la métallurgie – suivra le rythme. Les discussions avec Eneo et la Sonatrel sur des contrats d’approvisionnement électriques à tarif préférentiel seront déterminantes.
Un double prix qui redéfinit les rapports de force industriels
Au terme de cette Finance Week, la double consécration de Prometal agit comme un signal politique autant qu’économique. Elle rappelle que la diversification productive, souvent invoquée dans les discours officiels, peut se matérialiser lorsque l’État, la finance et l’entrepreneuriat convergent. Si le Cameroun parvient à ancrer durablement cette dynamique, c’est toute la CEMAC – encore dépendante du brut, du cacao et du bois – qui pourrait se réinventer autour d’une chaîne de valeur métallique intégrée, à même de soutenir les infrastructures et la transition énergétique africaines.