Une inauguration hautement symbolique à Salé
La chaleur estivale de Salé n’a pas entamé l’enthousiasme des délégations présentes le 26 juillet pour l’ouverture du Bureau Afrique de la Fédération internationale de football association. Dans la cour du complexe Mohammed VI, Gianni Infantino, Patrice Motsepe et Fouzi Lekjaa ont partagé une même rhétorique : l’histoire accorde rarement deux fois l’occasion de tourner une page. La date, à la veille des célébrations de la Fête du Trône, confère au geste un éclat protocolaire particulier. « Moment historique », a martelé le président de la FIFA, vantant l’énergie réformatrice d’un continent qui représente déjà plus d’un quart des fédérations membres. Dans le sillage des demi-finales héroïques du Maroc à Doha en 2022, l’instance mondiale se dote d’un avant-poste appelé à conjuguer, sur le même mode, ambition sportive et diplomatie économique.
Le Maroc, nouveau carrefour du pouvoir footballistique
Au-delà des projecteurs, le choix de Rabat procède d’une alchimie soigneusement négociée. Depuis une décennie, le royaume a investi dans ses infrastructures – stades homologués, centre médical de pointe, académies régionales – jusqu’à faire du complexe Mohammed VI l’un des plus complets au monde. À l’horizon 2030, année du Mondial tri-national qu’il co-organisera avec l’Espagne et le Portugal, le pays ambitionne un flux annuel de 150 000 visiteurs, techniciens ou athlètes, liés exclusivement à l’économie du football. L’implantation du bureau continental vient donc acter un leadership déjà tangible ; elle inscrit le Maroc comme plate-forme logistique pour les compétitions de la CAF, mais également comme lieu d’arbitrage discret pour les discussions financières entre sponsors, fédérations et investisseurs privés.
Vers une gouvernance continentale renforcée
Sur le plan institutionnel, l’initiative participe d’un mouvement plus large de décentralisation engagé par Zurich afin de rapprocher la gestion quotidienne des réalités locales. Le Bureau Afrique aura compétence pour accompagner les 54 associations membres dans la certification des infrastructures, la formation arbitrale et l’audit de bonne gouvernance. Cette démarche répond aux exigences de transparence formulées par un nombre croissant de bailleurs multilatéraux, Banque africaine de développement en tête, qui voient dans le sport un vecteur crédible de cohésion sociale. Patrice Motsepe, président de la CAF, a salué un « choix naturel », soulignant qu’aucune feuille de route cohérente ne saurait s’écrire sans un point d’ancrage opérationnel sur le continent. La possibilité d’accélérer la digitalisation des compétitions U-17 et U-20 illustre déjà cet alignement stratégique.
Implications pour les États africains et la CEMAC
Pour les capitales d’Afrique centrale, dont Brazzaville, l’intérêt est loin d’être anecdotique. La proximité géographique avec un centre de décision disposant d’équipes juridiques, de cellules de marketing sportif et de services techniques ouvre une perspective inédite : réduire les délais de validation des projets d’infrastructure et dynamiser les candidatures à l’organisation de tournois régionaux. Les ministères des Sports de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale espèrent déjà mutualiser certaines formations certifiées par la FIFA. La diplomatie congolaise, attentive à préserver la stabilité et l’influence régionale prônées par le président Denis Sassou Nguesso, y voit un levier supplémentaire pour renforcer la jeunesse par l’emploi sportif et amplifier le rayonnement culturel d’un pays déjà fier de ses Diables Rouges.
Entre soft power et ambition mondiale
Loin de se réduire à une opération de communication, l’implantation du Bureau Afrique cristallise un tournant conceptuel : le football n’est plus seulement un spectacle, il devient un instrument de projection d’influence. Le Maroc mise sur son triple ancrage – arabe, africain et euro-méditerranéen – pour transformer la passion populaire en capital diplomatique. La FIFA, quant à elle, s’assure une interface capable de fluidifier ses relations avec les gouvernements, les sponsors globaux et les diasporas africaines. Dans un contexte où les grandes puissances multiplient les initiatives de soft power, l’Afrique trouve dans ce bureau un outil d’autonomisation. En s’appuyant sur le dynamisme de ses métropoles et la ferveur de ses supporters, le continent peut désormais peser davantage dans la fabrique des calendriers internationaux et des réformes réglementaires. Reste à traduire l’élan protocolaire en résultats durables, depuis les pelouses des quartiers périphériques jusqu’aux travées climatisées des sommets du G20 où le sport, plus que jamais, se négocie comme une affaire d’État.