Un détour des Caraïbes jusqu’au Pool Malebo
Les percussions afro-caribéennes du collectif Madera ont résonné, le 24 juillet, dans l’enceinte verdoyante de l’orphelinat village des enfants cardinal Emile-Biayenda, blotti à Kombé, dans le huitième arrondissement de Brazzaville. L’escale n’a rien d’anodin : pour la première fois depuis la création du Festival panafricain de musique, un ensemble vénézuélien foule le sol congolais. Madera arrive ainsi avec son héritage afro-descendant, tissé de tambours cumaco et de cuatros des Llanos, rappelant que l’Atlantique fut autrefois un vecteur tragique de circulations humaines mais demeure aujourd’hui un corridor d’échanges artistiques.
Le Fespam, vitrine d’une diplomatie culturelle apaisée
Depuis 1996, le Fespam est perçu par nombre d’observateurs comme l’un des leviers de la politique culturelle congolaise. Adossée à la vision d’ouverture promue par les autorités de Brazzaville, la manifestation a pour objectif déclaré de « célébrer les racines et leurs ramifications contemporaines ». Sous l’impulsion du Président Denis Sassou Nguesso, cette biennale continue de renforcer l’image d’un Congo-Brazzaville accueillant, disposé à fédérer des expressions artistiques venues aussi bien des latitudes africaines que latino-américaines. En invitant Caracas, les organisateurs démontrent leur volonté de dépasser la stricte géographie panafricaine pour inscrire le festival dans l’arc plus large de la diaspora afro-descendante.
Une première vénézuélienne aux accents pédagogiques
Pour l’ambassadrice de la République bolivarienne du Venezuela, Laura Evangelia Suarez, la présence de Madera va au-delà d’une simple tournée. « Nos musiciens portent la mémoire d’une filiation noire longtemps invisibilisée, a-t-elle confié en marge du concert. À Brazzaville, ils renouent avec la source africaine de leur art et la partagent, dans un esprit d’égalité, avec leurs frères d’ici ». Cette approche pédagogique, qui conjugue restitution historique et échanges techniques, s’est déjà matérialisée lors d’ateliers organisés au Palais des congrès, où la batucada vénézuélienne a dialogué avec les peaux du groupe local Tam-Tam Sans Frontières.
Dialogue musical dans l’orphelinat cardinal Emile-Biayenda
Le choix d’un lieu d’accueil à forte portée sociale n’est pas fortuit. Créé pour protéger des enfants vulnérables, l’orphelinat cardinal Emile-Biayenda témoigne d’une tradition congolaise d’entraide communautaire. En y jouant au petit matin, Madera a offert une parenthèse festive à un public en quête de repères, tout en soulignant que la culture peut être un outil de cohésion. Les enfants, mains tendues vers les congas, ont improvisé des pas de salsa, tandis que les éducateurs esquissaient un bakongo revisité. Cette interaction confirme la capacité du Fespam à irriguer la capitale au-delà de ses scènes habituelles, en investissant des espaces où la musique se fait vecteur de résilience.
Coopération Sud-Sud renforcée par les arts
Sur le plan stratégique, l’événement illustre la montée en puissance d’une diplomatie dite « de proximité », inscrite dans la logique Sud-Sud préconisée par les Nations unies. Brazzaville et Caracas, toutes deux membres de l’Opep, ont parfois convergé dans les enceintes multilatérales. Le volet culturel, longtemps secondaire, s’affirme désormais comme un pilier complémentaire de leurs relations. Le ministère congolais des Affaires étrangères souligne que « les accords d’amitié ne vivent que s’ils se nourrissent de réalisations concrètes ». À cet égard, le passage de Madera pourrait préfigurer des actions croisées : résidences d’artistes, programmes d’échanges universitaires autour de l’ethnomusicologie, voire coproductions entre labels indépendants.
Perspectives pour un axe Brazzaville-Caracas durable
Au-delà de la parenthèse festivalière, les représentants des deux pays ont esquissé des pistes de consolidation. L’idée d’un jumelage entre le Conservatoire de musique de Caracas et l’Institut national des arts du Congo figure parmi les propositions discutées. D’un point de vue économique, le marché congolais des industries créatives, estimé par l’Unesco à près de 110 millions de dollars de valeur annuelle, pourrait bénéficier d’un savoir-faire vénézuélien en matière d’orchestres communautaires, à l’image du programme El Sistema. Pour les diplomates présents, il s’agit de transformer l’enthousiasme populaire suscité par le concert de Kombé en initiatives pérennes visant la formation des jeunes et la circulation des œuvres.
Une célébration qui dépasse l’événementiel
Alors que les spotlights du Fespam s’apprêtent à s’éteindre, la prestation matinale de Madera restera pour beaucoup comme l’un des temps forts de la douzième édition. Elle rappelle qu’une scène, fût-elle installée provisoirement dans la cour d’un orphelinat, peut devenir le théâtre d’un rapprochement intercontinental. Le festival, fidèle à son crédo d’« harmonie dans la diversité », réaffirme ainsi la place du Congo-Brazzaville dans le concert des nations culturelles, un rôle salué par de nombreuses chancelleries. Au-delà de la performance artistique, c’est la conviction, largement partagée à Kombé, que la musique favorise l’entente entre peuples qui donne à cette journée son relief diplomatique.