Brazzaville, capitale vibrante au diapason panafricain
Sous les lumières nouvelles du Palais des Congrès, la douzième édition du Festival panafricain de musique a été lancée en présence du chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, de la Première dame et d’un aréopage de personnalités étrangères. L’affluence de délégations ministérielles et diplomatiques témoigne de la place singulière qu’occupe Brazzaville sur la carte des capitales culturelles du continent. Dès les premières mesures de rumba, la salle s’est muée en forum vivant où la politique de rapprochement des peuples passait, non par la rhétorique officielle, mais par le langage universel des corps et des voix.
Le Fespam, instrument de rayonnement et de cohésion
Créé en 1995 sous l’égide de l’Union africaine, le Fespam incarne une forme de diplomatie douce que la République du Congo cultive patiemment. Tous les deux ans, les délégations de plus de quarante pays y convergent, attirées par la promesse d’un dialogue interculturel ancré dans l’esthétique musicale. L’édition 2023, consacrée aux « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », confirme une orientation stratégique : la culture n’est plus seulement célébration identitaire, elle devient vecteur d’industrialisation des talents et plateforme d’investissement transfrontalier. En offrant à son public une scène de cette ampleur, l’État congolais joue la carte de la stabilité et de l’hospitalité, deux atouts régulièrement soulignés par les partenaires multilatéraux.
La jeunesse congolaise, entre promesse et affirmation
Le spectacle inaugural, intitulé « L’année de la jeunesse », mobilisait plus de 250 danseurs et une poignée d’artistes phares parmi lesquels les slameurs Mariusca Moukengue et Black Panthère, ainsi que le chorégraphe Gervais Tomadiatunga. Dans un entrelacs de pas acrobatiques et de métriques poétiques, ces ambassadeurs culturels ont revisité la mosaïque des douze départements congolais. « Au-delà de tout ce qu’on sait faire, il y a cette unité artistique entre la musique, le slam et la danse », a confié Moukengue, rappelant que la scène lui offre un « moment privilégié » pour partager émotions et convictions. Tomadiatunga, de son côté, a revendiqué un « panafricanisme chorégraphié » mêlant rumba, hip-hop et folklore, démonstration tangible de la maturité créative d’une génération qui aspire à l’autonomie entrepreneuriale.
Tradition, numérique et économie créative
Le thème choisi éclaire les ambitions d’un pays conscient des potentialités offertes par la révolution numérique. En Afrique centrale, le marché de la musique en ligne progresse de plus de 10 % par an, dopé par la généralisation du smartphone. En investissant dans un festival capable de fédérer producteurs, plateformes de streaming et jeunes créateurs, le Congo se positionne sur la chaîne de valeur d’une industrie évaluée à plusieurs milliards de dollars sur le continent. La rumba, récemment inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, constitue un capital symbolique que les pouvoirs publics entendent convertir en retombées économiques, tant pour les artistes que pour les clusters technologiques émergents de Pointe-Noire et Brazzaville.
Un levier économique et diplomatique à consolider
Au-delà de l’effet de vitrine, le Fespam interroge les politiques de soutien à l’économie créative. Le gouvernement a déjà multiplié les signaux : fonds d’aide à la production, facilités fiscales pour les entreprises culturelles, partenariats avec la Banque africaine de développement. La présence, le soir de l’ouverture, d’investisseurs privés venus d’Afrique australe et d’Europe laisse entrevoir des synergies nouvelles. Dans un contexte régional marqué par des attentes fortes en matière d’emploi des jeunes, la culture apparaît comme un vecteur délicat mais réel de croissance inclusive. Le pari brazzavillois consiste désormais à traduire l’enthousiasme scénique en programmes pérennes, articulant formation, droits d’auteur et diffusion numérique.
Perspectives continentales et engagements futurs
Alors que l’Union africaine a proclamé 2023 « Année de la culture et du patrimoine », le Fespam offre une plateforme idéale pour expérimenter l’intégration culturelle continentale. Des discussions informelles ont déjà évoqué la mise en réseau des festivals homologues de Rabat, Kigali et Lagos, dans l’espoir de bâtir un marché commun de la diffusion musicale. À Brazzaville, la diplomatie s’est faite accord et danse ; elle a aussi pris rendez-vous avec l’avenir, en invitant la jeunesse à devenir partie prenante d’un modèle de développement fondé sur la créativité, l’esprit d’entreprise et la circulation des savoirs. Entre les travées, un sentiment de confiance dominait : celui d’un pays qui, sans triomphalisme, choisit la musique pour dire une ambition continentalement partagée.