Fespam 2025 lance la cadence d’une diplomatie culturelle
Sous les frondaisons ondoyantes du fleuve Congo, la douzième édition du Festival panafricain de musique déroule une partition où l’art dialogue avec la géopolitique. La cérémonie du 21 juillet, placée sous le haut patronage de la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie Hélène Lydie Pongault, a consacré l’entrée de nouveaux instruments traditionnels dans les collections nationales. « Chaque don est une poignée de main qui résonne », a-t-elle déclaré, saluant les représentants d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et du Sahel venus célébrer l’unité par le son. Cette convergence n’est pas anecdotique : elle incarne le choix, porté par Brazzaville, d’inscrire la culture parmi les leviers majeurs de son rayonnement régional.
Un musée comme agora organologique continentale
Inauguré en 2008 sur le site de l’École nationale des beaux-arts Paul-Kamba, le Musée panafricain de la musique ambitionne d’être à la fois conservatoire, laboratoire et vitrine. Conçu dès les années 1990 comme l’un des piliers fondateurs du Fespam, il rassemble aujourd’hui des pièces venues de vingt-et-un pays. Le directeur Honoré Mobonda rappelle que l’institution « porte la mémoire sonore de l’Afrique et ses possibles futurs ». L’initiative, soutenue par le gouvernement congolais, répond également à la stratégie nationale de diversification économique qui mise sur les industries créatives pour consolider la croissance non extractive.
Les offrandes sonores, reflet des pluralités nationales
Le pendé au cuir patiné, les variations de tambours bantous, le délicat goni mandingue, l’inanga rwandais au timbre soyeux, l’umuduri mauritanien aux notes feutrées, l’inyahura sénégalais ou encore le xylophone à l’intonation cristalline : autant de puissances poétiques qui racontent des cosmogonies, des rites d’initiation ou des instants festifs. Au-delà de leur facture artisanale, ces objets convoquent des imaginaires multiples. Hugues Gervais Ondaye, commissaire général du Fespam, y voit « une fresque interculturelle vivante qui scelle la fraternité panafricaine autour d’un orchestre sans frontières ».
Symbolique rituelle et transmission identitaire
Chaque pièce remise au musée porte une charge narrative dense. Abdou Sambadjiata, directeur général de la Culture de Côte d’Ivoire, décrit le goni comme « la voix des griots, gardiens de la mémoire et aiguillons de la conscience collective ». Vienvona Bobajidou, à la tête de la direction des Arts et de la Culture de Mauritanie, insiste sur l’inanga, jadis réservé aux hommes lors des grands conseils, où se tissaient consensus et décisions de paix. Le umuduri, souvent utilisé pour bercer l’enfant, rappelle que l’oralité musicale demeure un vecteur de socialisation fondamentale. En réunissant ces reliques sonores, le musée se charge d’une mission de sauvegarde, mais aussi d’un devoir de contextualisation qui alimente la recherche universitaire.
Numérique et préservation : la double portée stratégique
La numérisation progressive des collections, réalisée avec le concours du Musée des instruments de musique de Bruxelles dans le cadre du projet Prima, ouvre une deuxième scène, celle du cyberespace. Cet archivage haute définition répond à deux impératifs : protéger les œuvres contre l’usure du temps et démocratiser l’accès au patrimoine. Pour les experts congolais, cette visibilité mondiale renforce l’attractivité touristique, parameter clé du plan national « Destination Congo » soutenu par le chef de l’État Denis Sassou Nguesso. L’initiative s’inscrit enfin dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine qui érige la culture en catalyseur de développement.
Brazzaville, carrefour confirmé du soft power africain
Depuis la Conférence de Brazzaville de 1944, la capitale congolaise porte un héritage diplomatique singulier. Le Fespam ravive cette vocation en créant un espace de dialogue informel où les différences se transforment en accords majeurs. Les délégations présentes en 2025 illustrent une volonté partagée de dépasser les frontières politiques par le biais de la musique. Pour les chancelleries accréditées, le festival devient un baromètre de la stabilité congolaise et de sa capacité à orchestrer des rencontres culturelles sécurisées, conditions préalables à toute coopération économique plus large.
Vers une partition commune des politiques culturelles
En clôturant la cérémonie, la ministre Lydie Pongault a insisté sur la nécessité « d’harmoniser les stratégies régionales afin de garantir la circulation des artistes, des œuvres et des idées ». Cette perspective rejoint les discussions en cours au sein de la CEEAC sur la création d’un visa culturel unique. À l’échelle nationale, l’enrichissement du musée conforte le programme gouvernemental, lequel fait de la valorisation patrimoniale un pilier éducatif destiné à la jeunesse. Les experts prévoient déjà des ateliers de lutherie et des résidences croisées pour faire dialoguer chercheurs, musiciens et artisans. Ainsi, la mesure d’un simple don d’instruments s’étend bien au-delà de la symbolique, composant la bande-son d’une intégration africaine progressive, où Brazzaville entend jouer la note juste.