Le tournant numérique du Fespam
Dans l’écrin feutré du Palais des congrès de Brazzaville, le Festival panafricain de musique a inauguré sa douzième édition en revendiquant résolument le numérique comme pivot de sa programmation. Cette orientation s’inscrit dans le sillage de la stratégie nationale de transformation digitale saluée par plusieurs partenaires internationaux. Le lancement, sous l’égide de l’Organisation internationale de la Francophonie, d’une session intensive consacrée à la découvrabilité des contenus musicaux en ligne épouse ainsi la volonté des autorités congolaises de positionner la République du Congo au cœur des échanges culturels de la Francophonie numérique.
Le commissaire général du Fespam, Hugues Gervais Ondaye, a rappelé que la valeur diplomatique d’un tel rendez-vous tient autant à la circulation des savoirs qu’à la consolidation des passerelles Sud-Sud. S’adressant à un auditoire composé de producteurs, managers et curateurs venus de Kinshasa, N’Djamena ou Pointe-Noire, il a insisté sur la responsabilité collective de l’écosystème musical africain face à la mutation algorithmique des grandes plateformes.
Une masterclass à haute densité pragmatique
Sous la conduite du journaliste sénégalais Lamine Ba, figure reconnue des industries culturelles, les deux jours d’échanges ont adopté un format interactif privilégiant la mise en situation. À rebours des séminaires doctrinaires, l’atelier s’est ouvert sur une interpellation directe : « Qui peut définir la découvrabilité ? », a lancé le formateur. Cette entrée en matière presque socratique a permis de nuancer d’emblée la confusion fréquente entre visibilité payante et repérabilité organique. Progressivement, les participants ont mis au jour les paramètres décisifs, des métadonnées au design conversationnel, qui conditionnent la capacité d’une œuvre à émerger sans soutien promotionnel massif.
L’échange a pris appui sur des études de cas issues de collectivités francophones où les modèles d’affaire hybrides se multiplient. Les trajectoires de jeunes artistes congolais propulsés par TikTok ont illustré la porosité entre viralité instantanée et construction d’audience durable. Lamine Ba a souligné que la découvrabilité n’est pas une alchimie mystérieuse, mais l’aboutissement d’un protocole éditorial minutieux requérant rigueur documentaire et suivi analytique permanent.
La découvrabilité, concept stratégique
Derrière le terme, relativement récent dans le lexique francophone, se cache un enjeu géopolitique majeur : maîtriser la circulation des récits culturels dans un espace numérique dominé par quelques acteurs globaux. Les algorithmes de recommandation, écrivent des chercheurs de l’Université de Montréal, produisent des effets d’invisibilisation systémique des patrimoines non occidentaux. Dans ce contexte, la musique africaine court le risque d’une marginalisation statistique dès lors que les métadonnées sont incomplètes ou que les codes génériques ne correspondent pas aux taxonomies occidentales.
Kanel Engandja Ngoulou, coordonnateur de projets à l’OIF, a rappelé que l’organisation appuie depuis plusieurs années la normalisation des métadonnées francophones. Il estime que « la découvrabilité constitue l’assurance-vie numérique de nos esthétiques musicales ». Le propos rejoint les recommandations émises lors du dernier Sommet de la Francophonie qui invitait les États membres à renforcer la capacité des créateurs à dialoguer techniquement avec les plateformes.
Structurer les métiers pour accéder aux algorithmes
Au cours de la séance plénière, l’observation d’un syndrome récurrent a fait consensus : l’artiste africain demeure fréquemment cumulateur de fonctions, assurant à la fois management, production et distribution. Si cette polyvalence témoigne d’une indéniable résilience entrepreneuriale, elle induit un déficit de spécialisation qui pénalise la qualité des données soumises aux agrégateurs. Lamine Ba n’a pas esquivé la question : « L’algorithme récompense la précision, pas le bricolage. »
Pour remédier à cette dispersion, les participants ont identifié plusieurs pistes, parmi lesquelles la création de cellules de veille numérique au sein des labels indépendants et la contractualisation de community managers formés aux standards internationaux. Le ministère congolais de la Culture, présent dans la salle, a salué ces propositions qui rejoignent son plan d’action pour l’économie créative, témoignant d’une convergence public-privé jugée essentielle par les bailleurs.
Vers un rayonnement panafricain durable
À l’issue de la première journée, les témoins interrogés convergent vers un même diagnostic : la découvrabilité ne relève plus du luxe cognitif mais du socle stratégique permettant à l’Afrique musicale de s’installer dans les playlists mondiales. L’enjeu ne se limite pas à accroître les revenus des artistes. Il s’agit de consolider un soft power continental fondé sur la diversité des langues et des imaginaires, atout diplomatique que les capitales africaines entendent mobiliser lors des grandes négociations culturelles internationales.
Le deuxième jour promet d’approfondir la dimension communicationnelle et médiatique, afin de lier le travail de métadonnées à une narration engageante. En attendant, la ville de Brazzaville, berceau historique de la rumba classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO, démontre qu’elle sait conjuguer tradition et modernité. Par la même occasion, elle confirme la place singulière qu’occupe la République du Congo dans la cartographie culturelle africaine, forte d’un volontarisme politique conciliant valorisation des identités locales et intégration numérique mondiale.