Un coup d’envoi aux résonances géopolitiques
En déclarant solennellement ouverte la douzième édition du Festival panafricain de musique, le chef de l’État Denis Sassou Nguesso a rappelé la vocation matricielle du Fespam : réunir, au-delà des frontières stylistiques, les acteurs clés d’un continent en quête d’harmonies politiques et économiques. Dans la salle comble du Palais des congrès, diplomates, chercheurs et décideurs ont vu se nouer, sous l’arche lumineuse de la scène, un dialogue esthétique doublé d’une conversation stratégique sur l’avenir de la création africaine. La présence d’émissaires de l’Unesco et de représentants de plusieurs chancelleries a conféré à l’ouverture les atours d’un mini-sommet où l’art rencontre la préoccupation d’influence.
Symbole assumé de soft power, le Fespam s’ancre dans l’agenda diplomatique congolais comme catalyseur d’image positive. Brazzaville, autrefois qualifiée de « capitale de la musique africaine », entend réactiver ce statut pour nourrir une coopération culturelle Sud-Sud et bâtir des passerelles vers l’Europe et les Amériques. Les retombées attendues dépassent le seul registre événementiel ; il s’agit de conforter la position du Congo en tant que médiateur régional tout en promouvant un récit continental résilient face aux turbulences économiques.
Jeunesse créative et héritage national
La scénographie d’ouverture, placée sous le signe de « l’Année de la jeunesse », a mobilisé près de deux cents artistes, reflétant l’engagement du gouvernement à faire de la relève créative un moteur de cohésion. Les slameurs Mariusca Moukengue et Black Panther, éclats vocaux d’une génération connectée, ont ponctué un ballet de mouvements rappelant à la fois la force rituelle du tambour et l’agilité du hip-hop urbain. « Cette jeunesse a prouvé qu’elle peut faire rayonner notre culture ici et ailleurs », a confié, ému, le chorégraphe Gervais Tomadiatounga, conscient d’inscrire le patrimoine congolais dans une grammaire scénique contemporaine.
Le choix des couleurs vert-jaune-rouge, emblème national, a souligné la volonté institutionnelle de lier fierté identitaire et narration moderne. Au-delà de la performance, le message politique est clair : soutenir l’entreprenariat culturel des moins de trente ans revient à investir dans la stabilité sociale, la créativité constituant un exutoire pacifique et un gisement d’emplois non délocalisables.
Industries musicales à l’heure du numérique
Le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » inscrit le festival dans les grands débats internationaux sur la propriété intellectuelle et la rémunération des artistes. Pour le commissaire général Hugues Gervais Ondaye, « la musique n’est plus cantonnée à la scène ; elle circule, se monétise et influence ». La transition vers le tout-digital, accélérée par la pandémie, questionne la gestion des droits, la fiscalité des plateformes et la formation aux nouveaux métiers – de la data-analyse à la curation d’algorithmes.
En réponse, le Fespam articule conférences, ateliers et marché professionnel afin de rapprocher créateurs, investisseurs et régulateurs. Cette approche intégrée vise à outiller les États pour qu’ils encadrent un secteur estimé à plusieurs milliards de dollars sur le continent, tout en évitant l’érosion des revenus locaux au profit d’acteurs globaux. L’initiative bénéficie d’un soutien multilatéral, l’Unesco soulignant la pertinence d’un écosystème où la diversité culturelle rencontre la logique de marché.
Brazzaville, carrefour des savoirs et des arts
Dans les couloirs du Palais des congrès, les discussions croisent les trajectoires de musicologues, de producteurs et de start-up spécialisées dans la blockchain appliquée à la gestion des droits. Le symposium académique prévu examine la façon dont la musique, bien immatériel, peut devenir vecteur de croissance inclusive. Les débats portent sur la sécurisation des archives sonores, la transmission des savoir-faire instrumentaux et la structuration d’un marché intra-africain en plein essor.
Parallèlement, l’exposition d’instruments traditionnels met en évidence la circularité entre patrimoine et innovation. La présence d’artistes issus des diasporas, notamment d’Amérique latine et d’Europe, rappelle que le Fespam demeure un pont transatlantique, hérité des mobilités historiques du fleuve Congo vers le large. Cette porosité géographique fait de Brazzaville un laboratoire géoculturel où se dessinent de nouveaux récits de mondialisation.
Vers une diplomatie culturelle durable
Au fil des éditions, le Fespam a évolué d’un rendez-vous festif à un instrument stratégique de puissance douce. La ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie-France Lydie Pongault, voit dans la programmation en cinq axes « un laboratoire de réflexion et de célébration » apte à consolider la relance post-Covid tout en anticipant les défis économiques. Les scènes de Mayanga et de Kintélé, connectées aux réseaux sociaux du festival, illustrent une diplomatie culturelle de proximité qui implique les populations locales et valorise l’image d’un Congo tourné vers l’innovation.
Huit jours durant, concerts, marchés et projections de films, dont celui consacré à la rumba, renforceront l’idée d’une Afrique capable de conjuguer mémoire et futur. À l’issue de cette semaine dense, la capitale congolaise aura rappelé que la musique, loin d’être un simple divertissement, constitue un vecteur de dialogue, un rempart symbolique aux tensions régionales et un atout pour le développement durable. Sous la baguette de son président, le Fespam 2025 orchestre ainsi un récit optimiste où art, économie et diplomatie jouent à l’unisson.