Brazzaville, carrefour culturel stratégique
En ce soir du 19 juillet, le Palais des congrès de Brazzaville a retrouvé un lustre que l’on croyait réservé aux grandes heures des sommets internationaux. La foule bigarrée, composée d’artistes, de diplomates accrédités et de représentants d’organisations multilatérales, a longuement applaudi l’arrivée du président de la République, Denis Sassou Nguesso. C’est dans cette atmosphère feutrée mais résolument optimiste que le chef de l’État a prononcé la formule d’usage ouvrant officiellement le Fespam 2025, douzième du nom. Le geste dépasse la simple routine cérémonielle : il ancre la capitale congolaise dans une diplomatie du soft power qui gagne en importance à mesure que le continent redéfinit ses marqueurs d’influence.
Le Fespam, né en 1996, n’est pas qu’un événement musical. Au fil des éditions, il s’est mué en plate-forme de médiation et de cohésion, associant responsables politiques, opérateurs économiques et artisans d’une identité africaine plurielle. Si la taille de la manifestation a été modulée pour répondre à un contexte économique exigeant, le symbole demeure intact : Brazzaville se présente comme un laboratoire culturel où les dissonances se transforment en harmonie collective.
Un festival pilote pour la diplomatie culturelle congolaise
Les articulations protocolaires de la soirée inaugurale ont révélé un minutieux dosage entre souveraineté nationale et ouverture internationale. « Le Fespam demeure une invitation au dialogue des cultures », a souligné, dans un message audio, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco. La représentante résidente de l’organisation à Brazzaville, Fatoumata Barry Marega, a renchéri en saluant le rôle du Congo « dans la préservation d’un patrimoine immatériel dont l’Afrique entend être le premier garant ». Ces prises de parole, relayées par le maire de la ville, Dieudonné Bantsimba, et par le commissaire général, Hugues Gervais Ondaye, témoignent d’un consensus : la musique, loin d’être un simple divertissement, devient vecteur de crédibilité internationale.
Sur le plan pratique, les autorités congolaises ont articulé la programmation autour d’un triptyque diplomatique. D’abord, consolider les liens Sud-Sud en invitant des ensembles de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Ensuite, approfondir la coopération Nord-Sud par des échanges d’expertise technique avec des conservatoires européens. Enfin, renforcer la dimension diasporique grâce à la participation d’artistes afro-descendants venant des Amériques. Cette stratégie contribue à projeter l’image d’un pays soucieux d’équilibre et de modernité, sans jamais sacrifier la spécificité de ses propres traditions.
Les partenaires multilatéraux entre engagement et attentes
La réduction budgétaire induite par les contraintes macroéconomiques constituait l’un des défis majeurs de cette édition. L’Union africaine, l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Unesco ont néanmoins confirmé leur appui logistique et scientifique, jugeant que l’impact sociétal du festival l’emportait sur la conjoncture. À titre d’exemple, un programme de résidences croisées financé conjointement par l’Unesco et le ministère congolais de l’Industrie culturelle permettra à vingt jeunes compositeurs d’explorer les liens entre musiques de cours bantoues et rythmes électroniques, preuve tangible d’une innovation maîtrisée.
En marge des concerts, un forum économique a réuni banquiers régionaux et entrepreneurs créatifs afin de structurer la filière musicale. Les discussions ont porté sur la mise en place d’un fonds de garantie dédié aux petites et moyennes entreprises culturelles congolaises, sujet accueilli avec intérêt par la Banque de développement des États de l’Afrique centrale. Marie-France Lydie Hélène Pongault, ministre en charge des Industries culturelles, a insisté sur « la nécessité de penser la culture comme une chaîne de valeur complète, depuis la formation jusqu’à l’exportation ».
Résilience économique et créativité artistique
Le choix des organisateurs d’adopter une scénographie épurée a rappelé que la frugalité peut devenir une esthétique. La salle de conférence, transformée en scène modulable, servait de caisse de résonance à des formations qui, loin de la surenchère technologique, misaient sur la maîtrise vocale et la richesse polyrythmique. La compagnie congolaise Mokili a ainsi fusionné le kongo traditionnel et la rumba urbaine, tandis que les conteurs du Mali ont captivé l’assistance par des récits sur la migration transsaharienne.
Cette économie de moyens n’a pas affaibli la portée symbolique de la manifestation. Au contraire, elle a donné le ton d’un récit national d’endurance. Depuis la chute des cours du pétrole, le gouvernement congolais a multiplié les initiatives de diversification. Le secteur culturel, valorisé dans le Plan national de développement 2022-2026, figure parmi les six moteurs identifiés pour une croissance inclusive. Dans ce contexte, le Fespam illustre la conviction que la créativité peut soutenir une relance qui ne repose plus exclusivement sur les hydrocarbures.
Perspectives régionales au-delà de 2025
La réussite qualitative de cette douzième édition ouvre déjà le débat sur la projection continentale du festival. Les commissariats culturels du Rwanda et du Ghana ont manifesté leur intérêt pour accueillir, dès 2027, des sessions délocalisées, signe que le label Fespam suscite un effet de halo. Pour le Congo-Brazzaville, cette éventuelle itinérance serait moins un renoncement qu’une diplomatie de la proximité, comparable aux exercices militaires multinationaux qui cimentent la confiance entre États.
À Brazzaville, le rideau n’est pas encore tombé que les analystes mesurent les gains intangibles : renforcement de l’identité panafricaine, crédibilité politique accrue, diversification des partenariats économiques. Les chiffres de fréquentation définitifs seront connus en septembre, mais l’impression prévaut déjà dans les milieux diplomatiques que le Fespam 2025 aura offert au Congo l’opportunité de consolider son rang de pont culturel entre les blocs régionaux. Dans l’ombre des projecteurs, c’est une véritable partition géopolitique que la République du Congo a jouée, mise en musique par ses artistes et dirigée avec assurance par l’ensemble de ses institutions.