Brazzaville, épicentre d’une symphonie diplomatique
Lorsque le rideau s’est levé le 19 juillet 2025 dans la grande salle du Palais des congrès, la République du Congo a rappelé au continent qu’elle demeure un acteur central de la diplomatie culturelle africaine. En donnant à la douzième édition du Festival panafricain de musique son impulsion institutionnelle, les autorités de Brazzaville ont affiché la volonté présidentielle d’affermir la place du Congo comme carrefour d’influences artistiques et passerelle entre les blocs francophone, lusophone et anglophone. Plusieurs délégations ministérielles, conduites notamment par le Niger, le Ghana et le Rwanda, ont salué « l’engagement constant du chef de l’État congolais en faveur de l’intégration culturelle » — propos rapportés par un diplomate sénégalais présent à l’ouverture.
Humaniser un tel rendez-vous n’allait pourtant pas de soi dans un contexte de conjoncture budgétaire maîtrisée. L’option retenue par le comité d’organisation, à savoir un festival resserré sur huit jours et recentré sur des formations nationales d’excellence, a permis de préserver l’essentiel : la vitrine symbolique d’un continent qui parle de lui-même par la musique.
Le souffle fondateur d’une ambition panafricaine
Le FESPAM est né en 1996 sous les auspices de l’Organisation de l’unité africaine, héritière des idéaux portés à Dakar en 1966, Alger en 1969 et Lagos en 1977. À l’époque, il s’agissait pour les États émergents de l’ère post-coloniale de refonder leur récit par la création artistique. Vingt-neuf ans plus tard, cette ambition demeure, même si le vocabulaire a changé : les chancelleries parlent désormais de soft power, d’attractivité ou encore de diplomatie d’influence.
À Brazzaville, l’hommage rendu à Miriam Makeba et à Papa Wemba – deux icônes ayant, chacune à sa manière, tissé des ponts entre activism e politique et scène internationale – a souligné la cohérence d’un message qui associe patrimoine et futur. Des chercheurs du CAMES, invités à un colloque parallèle, ont rappelé que « la musique africaine est moins une archive qu’un ferment politique vivant ».
Gestion réaliste d’une édition sous contraintes
Il serait exagéré de nier les défis logistiques. La réduction de la jauge des concerts, l’hébergement des délégations dans un périmètre sécurisé limité et l’adaptation des transports urbains ont imposé une discipline budgétaire stricte. Le ministre congolais de la Culture, invité sur les ondes de Radio Congo, a assumé ce choix : « Nous avons privilégié la qualité artistique et la sécurité sanitaire, plutôt que la dispersion spectaculaire. »
Le pari a trouvé sa justification dans la fréquentation. Selon les chiffres communiqués par le comité exécutif, près de 22 000 spectateurs cumulés ont assisté aux différentes prestations, soit 78 % de la capacité totale prévue. En outre, l’accord de diffusion conclu avec un consortium de télévisions publiques africaines a permis de toucher plus de dix-sept millions de téléspectateurs, preuve qu’un format hybride peut étendre la portée continentale à moindre coût.
Résilience institutionnelle et innovations attendues
L’une des innovations remarquées fut le lancement d’une plateforme numérique, Fespam-Hub, hébergée par l’Agence congolaise de développement du numérique. Accessible en streaming à faible bande passante, l’outil a offert aux diasporas un accès direct aux concerts, aux master-classes et aux débats. Ce pivot digital, salué par l’Union africaine, répond aux attentes d’une génération d’artistes pour qui la scène physique n’est plus le seul horizon.
Parallèlement, la présence d’entrepreneurs culturels ivoiriens et kényans a montré l’émergence d’un marché créatif sud-sud. Des ententes préliminaires ont été signées pour organiser des tournées croisées en 2026, ce qui conforte la vocation du FESPAM à catalyser une économie de la musique africaine au-delà de ses frontières nationales.
Vers une gouvernance culturelle partagée
Au-delà des performances, la question du financement pérenne est revenue dans toutes les discussions. Plusieurs États membres de l’Union africaine se sont accordés sur le principe d’un fonds mutuel dédié aux grandes manifestations culturelles continentales. Le maintien d’un modèle piloté à Brazzaville, mais doté d’un conseil panafricain élargi, figure désormais parmi les scénarios étudiés.
La diplomatie congolaise peut se prévaloir d’avoir posé la première pierre de ce chantier. Comme l’a souligné la représentante de l’UNESCO, « l’avenir du FESPAM dépendra de la capacité des acteurs politiques à transformer la culture en bien commun stratégique ». La tonalité de ce commentaire rejoint la position exprimée par le gouvernement congolais : toute résilience doit être couplée à une mutualisation continentale des ressources.
En fermant la scène le 26 juillet, Brazzaville n’a pas simplement tiré un feu d’artifice final ; elle a adressé un signal de constance et de confiance. Entre le rêve des Pères fondateurs et les réalités du XXIᵉ siècle, la 12ᵉ édition aura démontré qu’une vision culturelle, dès lors qu’elle se nourrit de pragmatisme, peut encore vibrer en mode majeur.