Brazzaville au diapason d’une diplomatie culturelle proactive
Rarement les berges du fleuve Congo auront résonné d’une telle effervescence. Dans les studios improvisés du Centre culturel Sony Labou Tansi, tambours et sanza répondent aux directives feutrées du chorégraphe franco-congolais Gervais Tomadiatounga. Loin d’une simple répétition, la scène devient le théâtre d’une diplomatie douce où la République du Congo s’emploie à projeter une image de stabilité et d’ouverture. « Le Fespam n’est pas qu’un spectacle, c’est un symbole d’amitié entre les peuples », glisse un conseiller du ministère des Affaires étrangères croisé dans les coulisses. En orchestrant une douzième édition placée sous le signe de l’innovation, Brazzaville confirme sa volonté d’inscrire la culture au rang d’instrument stratégique, à l’heure où les capitales africaines rivalisent de festivals pour séduire investisseurs et partenaires.
Entre coulisses et projecteurs, un pari logistique maîtrisé
La visite, le 12 juillet, de la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie-France Hélène Lydie Pongault, a donné le ton. Sa présence, assortie d’encouragements appuyés aux danseurs, a rappelé que l’État demeure le premier garant de la bonne tenue de l’événement. Si certains artistes évoquent des infrastructures encore perfectibles, la hiérarchie préfère saluer « la capacité de résilience et de créativité des jeunes » (M. F. H. L. Pongault). Les logisticiens ont relevé le défi d’un montage en un temps record : trois cents projecteurs synchronisés, un plateau élargi pour accueillir des chorégraphies collectives et un dispositif de captation haute définition taillé pour les télévisions internationales. Autant d’éléments qui témoignent d’une préparation méthodique, malgré un contexte budgétaire resserré.
La scène comme levier d’intégration régionale et de soft power
Le Fespam est né en 1996 sous l’impulsion des autorités congolaises désireuses de bâtir un pont musical entre les deux rives du continent. Trente ans plus tard, l’initiative conserve son ADN panafricain : plus de vingt délégations sont attendues, du Cap-Vert à l’Égypte. Pour Brazzaville, l’enjeu dépasse l’animation culturelle. Il s’agit d’entretenir un réseau d’alliances informelles, de nourrir la coopération Sud-Sud et de démontrer que la capitale congolaise peut, elle aussi, offrir une plateforme de dialogue artistique à même de rivaliser avec Dakar ou Rabat. À cet égard, l’implication de la diaspora – ingénieurs du son venus de Paris, stylistes installés à Johannesburg – confère au festival une dimension transnationale qui renforce l’influence symbolique du pays.
Un thème numérique aux résonances économiques majeures
« Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », tel est le fil rouge retenu cette année. Le choix n’est pas fortuit : la filière musicale congolaise affiche déjà des taux de diffusion élevés sur les plateformes de streaming, mais cherche encore des modèles de monétisation pérennes. Les conférences prévues réuniront économistes, juristes du droit d’auteur et start-uppeurs congolais spécialisés dans la blockchain. Leur objectif : identifier les cadres juridiques permettant de sécuriser les revenus des créateurs tout en attirant des capitaux privés. Le Palais des Congrès, rénové pour l’occasion, accueillera également un salon professionnel où labels africains et distributeurs européens discuteront d’accords de licence. Autant d’indicateurs qui traduisent la volonté de convertir le capital symbolique du Fespam en dividendes concrets pour l’économie nationale.
Artisanat local, jeunesse et diaspora : le trio gagnant de la création
Le spectacle d’ouverture, annoncé comme une fresque mêlant masques teke, percussions kongo et beats afropop, illustre la volonté d’embrasser un héritage pluriel. Les ateliers de costume ont mobilisé des tisserands de Poto-Poto, tandis que la bande-son a été masterisée par un ingénieur ayant fait ses classes à l’Institut supérieur de musique de La Havane. Cette fertilisation croisée constitue, selon le commissaire général Gervais Hugues Ondaye, « une opportunité unique de formation continue ». Le gouvernement a, pour cette édition anniversaire, financé des stages intensifs afin de doter les jeunes talents des compétences techniques exigées par les standards internationaux. Dans un pays où la démographie est résolument jeune, la passation intergénérationnelle de savoir-faire s’affirme comme un axe central des politiques publiques.
Perspectives : capitaliser sur le patrimoine et consolider l’élan
À l’issue des huit jours de festivités, le pari sera double : ravir le public et convaincre les partenaires que le Fespam mérite un accompagnement durable. Le ministère de tutelle planche déjà sur un fonds de soutien alimenté par des contributions privées et par la réaffectation partielle des recettes touristiques générées lors du festival. Les diplomates en poste à Brazzaville voient dans ce mécanisme un signal de maturité budgétaire, tandis que les opérateurs culturels locaux y perçoivent la promesse d’une professionnalisation accrue. Dans cette dynamique, le président Denis Sassou Nguesso, artisan historique du festival, apparaît comme le garant institutionnel d’un projet désormais inscrit dans la mémoire collective.
La partition est donc prête : il appartiendra aux artistes de faire vibrer les cordes sensibles et à la cité de Maya-Maya de confirmer qu’elle peut, par la grâce d’un rythme ancestral ou d’un riff urbain, parler au nom d’une Afrique ambitieuse. Si la musique adoucit les mœurs, elle peut aussi, à Brazzaville, façonner l’avenir économique et diplomatique d’un pays qui entend faire de la culture un pilier de son développement.