Un tandem au carrefour des diasporas francophones
L’annonce conjointe, au début de l’été, d’un EP signé Tiakola et Genezio a immédiatement retenu l’attention d’un public qui dépasse largement le microcosme rap. La Mélo, 26 ans, enfant de la cité des 4000 à La Courneuve, et son cadet né en 2003 à Villeneuve-Saint-Georges incarnent deux visages complémentaires de la diaspora franco-congolaise. Leur choix de fusionner temporaires leurs univers dans « Fara Fara Gang » ne répond pas seulement à une logique artistique ; il illustre une volonté assumée de réaffirmer des racines et de les inscrire dans un récit collectif qui englobe Paris, Brazzaville et Kinshasa.
Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large de la scène francophone, où l’affirmation identitaire prend la forme d’une diplomatie informelle. À travers réseaux sociaux et tournées transcontinentales, ces artistes créent des ponts autant qu’ils génèrent des flux économiques, participant ainsi à la circulation d’un capital symbolique profitable tant aux communautés d’origine qu’aux États soucieux de rayonnement international.
Le Fara Fara revisité : d’un duel musical à l’union créative
Dans la tradition kino-congolaise, le « fara fara » désigne un face-à-face entre orchestres rivaux, véritables joutes où s’éprouvent charisme et virtuosité. Tiakola et Genezio ont choisi de détourner la notion, préférant l’unisson à la confrontation. Leur réinterprétation illustre la plasticité d’un patrimoine culturel capable d’être réinventé sans se renier.
Le morceau « Code 187 », auquel participe Jacky Brown, vétéran du mouvement hip-hop afro-caribéen, témoigne de cette hybridation maîtrisée : Genezio y martèle son flow incisif, tandis que Tiakola apporte une ligne mélodique immédiatement mémorisable. Le résultat rappelle qu’une tradition se fortifie lorsqu’elle accepte les strates successives de modernité qui l’enrichissent.
Une narration d’ascension sociale dans le récit urbain
Au-delà des références cryptiques chères à la culture rap, « Fara Fara Gang » déroule un fil directeur : l’ascension sociale. Le titre « Catimini » explicite cette trajectoire, évoquant la patience stratégique, voire la discrétion imposée, d’une jeunesse déterminée à s’extraire de la précarité des quartiers populaires. Les travailleuses invisibles, les vendeurs ambulants, les familles multipolaires entre banlieue parisienne et rive droite du Congo trouvent écho dans les couplets des deux artistes.
Cette dimension sociale joue un rôle politique implicite : en racontant leur réussite et en soulignant la solidarité intergénérationnelle, les rappeurs véhiculent un message de confiance dans la mobilité, rejoignant en creux les politiques publiques brazzavilloises qui encouragent le retour des compétences issues de la diaspora.
Un levier de soft power valorisé par Brazzaville
Si la République du Congo a longtemps bâti sa diplomatie essentiellement sur l’énergie et la médiation régionale, elle investit désormais plus nettement le champ culturel. La multiplication des partenariats entre ministères, festivals et plateformes numériques s’inscrit dans la Stratégie nationale de développement de l’économie culturelle annoncée en 2023. Dans ce contexte, l’exposition internationale de Tiakola et Genezio constitue un atout que les autorités entendent accompagner sans le caporaliser.
Leur passage très médiatisé au FESPAM, où ils ont interprété « Mbifé – i cadie nié », chanson bilingue lingala-bambara célébrant la femme africaine, a été salué par la presse régionale comme « une démonstration de cohésion culturelle dont Brazzaville peut se prévaloir » (Les Dépêches de Brazzaville, 2024). L’épisode illustre la complémentarité grandissante entre initiatives privées et appui institutionnel dans la diplomatie d’influence congolaise.
Vers une scène afro-urbaine plus structurée
À court terme, la réussite commerciale d’un EP placé en tête des classements de streaming dans l’espace francophone renforce la viabilité économique d’une chaîne de valeur enracinée des deux côtés du fleuve Congo. À moyen terme, elle encourage la professionnalisation d’un secteur encore fragmenté, qu’il s’agisse de droits voisins, de fiscalité adaptée ou d’infrastructures de spectacle vivant.
Tiakola et Genezio ont d’ores et déjà annoncé leur intention de produire de jeunes talents repérés dans les quartiers Sud de Brazzaville. En créant un label transcontinental, ils participeraient à la constitution d’un écosystème apte à générer emplois qualifiés et visibilité internationale. Pour les chancelleries observant l’Afrique centrale, ces dynamiques constituent un indicateur d’évolution sociétale au même titre que les statistiques macro-économiques.
Un horizon de coopération culturelle renouvelé
L’exemple de « Fara Fara Gang » rappelle que la diplomatie contemporaine ne se limite plus aux seuls canaux gouvernementaux. La circulation fluide des contenus, la porosité des espaces numériques et la capacité d’un refrain à franchir les frontières linguistiques confèrent aux artistes un rôle d’ambassadeurs officieux. Les autorités congolaises y voient un complément aux actions plus classiques de promotion de la francophonie ou de participation aux sommets multilatéraux.
En offrant une narration positive, respectueuse des institutions tout en restant fidèle à la vivacité de la rue, Tiakola et Genezio démontrent que le hip-hop, loin des clichés, peut se muer en vecteur de cohésion et de visibilité. Dans une région où la stabilisation politique passe aussi par la consolidation d’identités partagées, cette contribution culturelle, certes immatérielle, acquiert une valeur stratégique que diplomates et investisseurs seraient avisés de mesurer à sa juste hauteur.