Une offensive concertée vers l’Est asiatique
Dans le grand salon du ministère du Tourisme à Rabat, la signature du partenariat entre l’Office national marocain du tourisme (ONMT) et China Eastern Airlines a résonné comme une démonstration de soft power. Devant un parterre de diplomates asiatiques, la ministre Fatim-Zahra Ammor a salué « un jalon décisif pour installer le Maroc sur la carte mentale du voyageur chinois ». L’accord intervient alors que le marché continental chinois, fort de quelque 155 millions de voyageurs sortants en 2019, redémarre progressivement après la parenthèse pandémique. En articulant marketing territorial, offre premium et connectivité directe, Rabat entend capter une part de cette manne que se disputent déjà les capitales méditerranéennes.
Des synergies marketing au service d’une image renouvelée
Le texte scellé par Achraf Fayda, directeur général de l’ONMT, et Wang Zhiqing, président de la compagnie basée à Shanghai, prévoit des campagnes conjointes sur les plateformes numériques chinoises, des voyages de presse ciblés et la coproduction de contenus audiovisuels immersifs. Selon un haut cadre de l’ONMT, l’objectif est de « décloisonner l’imaginaire orientaliste classique du Maroc pour l’inscrire dans un registre d’authenticité contemporaine ». Concrètement, les futurs visiteurs seront invités à composer des parcours modulaires autour du patrimoine impérial, du désert, mais aussi de l’artisanat design et de la gastronomie fusion. L’ONMT table sur des ambassadeurs de marque issus de la pop-culture chinoise pour amplifier la notoriété numérique du royaume.
Des liaisons aériennes pensées pour la croissance durable
La dimension logistique n’a pas été négligée. Dès janvier 2025, China Eastern reliera Shanghai à Casablanca via Marseille, préfigurant un service sans escale prévu pour octobre de la même année à raison de trois fréquences hebdomadaires. Cette décision complète la desserte Pékin–Casablanca exploitée par Royal Air Maroc, matérialisant un corridor aérien inédit entre l’Extrême-Orient et l’Ouest africain. Les autorités tablent sur une montée en charge progressive vers une desserte quotidienne à l’horizon 2030, avec un coefficient de remplissage supérieur à 80 %. L’accord comprend un volet environnemental : la flotte affectée sera composée d’appareils de dernière génération, affichant une consommation de carburant réduite d’environ 15 % par siège-kilomètre.
Vers un tourisme expérientiel haut de gamme
Le profil du voyageur visé se situe résolument dans le segment premium. Comme le souligne un rapport interne de China Eastern, le panier moyen d’un touriste chinois long-courrier avoisine 1 600 dollars hors billet d’avion. L’ambition marocaine est de capter cette dépense dans l’hôtellerie de charme, la restauration gastronomique et les expériences exclusives, qu’il s’agisse de masterclass de broderie à Fès ou de dîners étoilés sous tente aux portes de Merzouga. Les autorités espèrent ainsi irriguer les territoires au-delà des pôles Marrakech et Casablanca, tout en préservant la capacité d’accueil grâce à des quotas encadrés de groupes.
Ambitions chiffrées et diplomatie d’influence
L’ONMT s’est fixé un cap clair : atteindre le seuil du million de touristes chinois en 2030, soit environ 8 % des arrivées totales escomptées. Cette cible s’accompagne d’une hausse projetée de 1,2 point du PIB touristique, chiffrée à près de deux milliards de dollars de recettes supplémentaires annuelles. Sur le plan diplomatique, Rabat consolide un partenariat déjà soutenu par des coopérations dans les infrastructures et l’énergie. « La diplomatie touristique complète désormais la diplomatie des grands chantiers », observe un chercheur du Policy Center for the New South, rappelant que le Royaume s’inscrit depuis 2017 dans l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie.
Quels enjeux pour le hub africain de Casablanca ?
Au-delà de la destination finale Maroc, l’accord ambitionne de positionner l’aéroport Mohammed-V comme plateforme de correspondance vers l’Afrique de l’Ouest et centrale. Les études de trafic indiquent un potentiel de transit estimé à 300 000 passagers chinois vers des capitales telles que Dakar, Abidjan ou Brazzaville. Royal Air Maroc et China Eastern étudient déjà un partage de codes élargi, qui ferait de Casablanca une alternative crédible à Doha ou Addis-Abeba. Si le pari réussit, le Maroc renforcerait son rôle de trait d’union économique Sud-Sud tout en diversifiant ses sources de devises. Les observateurs notent que la stabilité politique du Royaume, conjuguée à une diplomatie proactive, confère au projet une assise que peu de plateformes africaines peuvent aujourd’hui revendiquer.