Une première africaine et arabe
En se voyant confier l’organisation de la dix-huitième conférence annuelle du Réseau des villes créatives de l’UNESCO, Essaouira s’installe à la croisée des chemins atlantiques et sahariens. Jamais auparavant une cité africaine ni arabe n’avait été invitée à jouer ce rôle central, gage d’un changement de focale dans la diplomatie culturelle mondiale. Le choix de ce port aux murailles ocre, façonné par des siècles d’échanges marchands et d’influences andalouses, portugaises et amazighes, illustre la reconnaissance d’une créativité périphérique qui ne se limite plus aux grands pôles euro-américains. Il promet également de reconfigurer les circuits de circulation des idées autour d’une rive sud longtemps marginalisée.
Un vote révélateur de convergences
Le scrutin électronique qui a départagé les villes candidates a révélé une convergence d’intérêts inattendue. Selon le communiqué de l’Organisation, Essaouira a engrangé la majorité absolue des suffrages. « Le vote démontre que le Sud ne demande pas la charité mais une place équitable », glisse un négociateur latino-américain. Au-delà du vote, les observateurs retiennent surtout le signal politique : la communauté des 350 membres manifeste sa volonté de diversifier les géographies de la création. Dans les couloirs de l’UNESCO, certains diplomates évoquent déjà un « moment africain » de la gouvernance culturelle, comparable à la COP22 tenue à Marrakech en 2016. La désignation du Maroc, partenaire stable et investi dans l’agenda multilatéral, rassure également des bailleurs en quête de visibilité et de sécurité juridique.
La musique comme fil conducteur
La candidature de la cité des alizés reposait sur un atout singulier : la musique. Depuis son inscription en 2019 au titre de Ville créative, Essaouira a multiplié les manifestations où la tradition gnaouie dialogue avec le jazz, le rock ou encore les chants hassani. Le Festival Gnaoua et Musiques du monde, suspendu durant la pandémie puis relancé avec prudence, accueille chaque année plus de 300 000 visiteurs, selon les estimations de la province. Les scènes installées au pied des remparts donnent corps à l’idée d’un patrimoine vivant, entraînant une professionnalisation progressive des artistes locaux, la montée en gamme des infrastructures et, par ricochet, une consolidation de l’emploi culturel, segment encore fragile de l’économie marocaine.
Diplomatie culturelle et développement durable
Si les projecteurs se braquent sur les concerts, l’architecture conceptuelle de la conférence s’arrime résolument à l’Agenda 2030. Le thème retenu — pérennité des politiques publiques en faveur des industries culturelles — fait écho à l’objectif 11 des ODD qui promeut des villes inclusives, sûres et durables. Les équipes du ministère marocain de la Culture, en coordination avec les municipalités de Rabat et de Brazzaville également membres du Réseau, planchent déjà sur des ateliers mêlant urbanistes, anthropologues et fintechs. Objectif affiché : produire des recommandations applicables dans des villes intermédiaires, où la densité démographique demeure compatible avec des expérimentations à taille humaine.
Enjeux locaux d’un rayonnement global
L’impact local, toutefois, ne se décrète pas. À Essaouira, où le taux de chômage frôle 17 %, l’événement alimente l’espoir d’une montée en compétence des jeunes diplômés dans les métiers du patrimoine, du numérique et du tourisme responsable. Les artisans marqueteurs, qui sculptent depuis des générations le thuya parfumé, anticipent une demande accrue pour des pièces certifiées durables. Les autorités régionales misent sur la conférence pour achever la réhabilitation du port historique et étendre la desserte aérienne interne. Plusieurs hôteliers ont annoncé des investissements conformes au label Haute Qualité Environnementale, signe que la dynamique créative peut se doubler d’un effet levier économique.
Cap vers 2026
À trois années de l’échéance, le calendrier se précise : lancement des comités scientifiques au printemps, appel à contributions avant l’été 2025, puis programme définitif présenté à Mondiacult. D’ici là, Essaouira devra orchestrer un délicat équilibre entre ouverture internationale et préservation de son intimité. Parce qu’elle incarne une mémoire métissée, la ville sait que l’attention mondiale peut être aussi exigeante qu’éphémère. Néanmoins, la trajectoire engagée suggère une cohérence nouvelle dans l’action culturelle du Maroc, soucieuse d’articuler rayonnement symbolique et retombées tangibles. Si la houle atlantique demeure imprévisible, les souiris semblent décidés à transformer la brise océanique en un souffle durable d’innovation.