Une copie originale chargée de symboles remise au sommet de l’État
La scène, solennelle, s’est déroulée dans le salon Mauroya du Palais du Mont Ngaliema. Sous les lambris clairs où chaque mot pèse son poids diplomatique, la ministre d’État aux Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba, a déposé entre les mains du président Félix Tshisekedi l’exemplaire original de l’Accord de paix signé le 27 juin à Washington. Le geste, à forte valeur protocolaire, consacre l’entrée du document dans le corpus juridique congolais et scelle l’engagement personnel du chef de l’État. À ce moment, c’est toute la stratégie régionale de Kinshasa qui se cristallise autour d’une signature rédigée à deux pas du Potomac, mais appelée à produire ses effets sur les rives du fleuve Congo.
Washington, nouveau théâtre d’une diplomatie sécuritaire revisitée
Pour nombre d’observateurs, le choix de la capitale américaine n’est pas neutre. Derrière les dorures du Department of State, les négociateurs congolais et rwandais ont bénéficié d’un parrainage actif de Washington, soucieux de prévenir tout nouvel embrasement dans les Grands Lacs. Des diplomates américains confient que « l’administration salue l’audace des parties et l’esprit de compromis ». À l’ombre de ces propos, le rôle discret mais constant de Brazzaville mérite mention : le président Denis Sassou Nguesso, vétéran de la médiation africaine, avait, selon une source proche de la CEEAC, « encouragé les équipes à maintenir le fil du dialogue ouvert ».
Architecture de suivi : de la volonté politique à la mécanique institutionnelle
Dans son entretien avec la presse, la ministre Kayikwamba a indiqué que le président Tshisekedi constituera une task-force interministérielle chargée d’orchestrer l’exécution de l’accord, d’en vérifier les jalons et de produire des rapports trimestriels. À la présidence, la coordination incombera à André Wameso, tandis que le général-major Augustin Mamba pilotera le versant sécuritaire, gage d’une réponse calibrée aux incursions transfrontalières. Les experts redoutent toutefois qu’une absence de financements pérennes n’entrave la rapidité d’action. Le Trésor public congolais, conscient de l’enjeu, explore déjà un mécanisme de panier commun adossé à la Banque africaine de développement.
Un sommet international annoncé pour octobre : effets de levier attendus
La lettre adressée par le président Donald Trump, dont le contenu intégral n’a pas filtré, évoque la convocation, en octobre, d’un sommet des chefs d’État consacré à la stabilisation des Grands Lacs. Le format envisagé – restreint, à haute valeur décisionnelle – devrait associer, outre la RDC et le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, mais aussi la République du Congo. À Brazzaville, un conseiller diplomatique juge « naturel que notre pays, pivot géographique et partenaire constant de la RDC, soit partie prenante ». Kinshasa y voit l’occasion de consolider un front régional et d’amarrer l’accord à une garantie multilatérale plus robuste.
Résonances régionales : décryptage d’une confiance prudemment partagée
La signature de Washington intervient dans un contexte où la méfiance mutuelle entre Kinshasa et Kigali reste palpable. Pour contourner ce passif, le texte prévoit la remise en commun de données sécuritaires, un couloir humanitaire pour les déplacés et la réactivation d’une commission mixte armée. Brazzaville, qui abrite déjà le Mécanisme tripartite de vérification, offre son concours logistique. Selon un haut fonctionnaire de la CEEAC, « l’implication de la République du Congo constitue un facteur de neutralité appréciable et rassure les chancelleries ». Dans la même veine, Luanda, hôte des négociations régionales antérieures, salue une dynamique complémentaire plutôt qu’une concurrence.
Dilemmes sécuritaires et réalités de terrain : la paix à l’épreuve du Kivu
Si le texte insiste sur le retrait progressif des groupes armés soutenus de part et d’autre de la frontière, la mise en œuvre s’annonce délicate. Dans les collines du Nord-Kivu, les mouvements d’unités irrégulières restent fluides. L’envoyé spécial Patrick Luabeya reconnaît qu’« aucun accord ne peut, à lui seul, neutraliser une économie de guerre consolidée depuis deux décennies ». D’où l’importance d’un maillage plus large associant développement local, réinsertion et contrôle rigoureux du commerce transfrontalier. Ici encore, le modèle brazzavillois de programmes DDR (désarmement, démobilisation et réintégration) déployés dans la Likouala il y a dix ans est cité comme référence constructive.
Perspectives : de l’engagement solennel à la consolidation durable
Qu’il s’agisse du suivi institutionnel, du sommet d’octobre ou de la coordination régionale, la séquence actuelle traduit une volonté politique affirmée. Point notable, la diplomatie congolaise démontre son aptitude à tisser des alliances multiples, tout en veillant à préserver son autonomie stratégique. À cet égard, la coopération empreinte de respect mutuel entre Kinshasa et Brazzaville reste un atout, car elle éloigne le spectre d’une polarisation où s’infiltreraient des intérêts extérieurs concurrents. S’il est trop tôt pour parler de tournant historique, l’accord de Washington offre un espace de respiration rare dans la géopolitique tourmentée des Grands Lacs. Il appartiendra désormais aux parties, épaulées par leurs voisins et partenaires, de transformer l’élan diplomatique en réalités tangibles pour les populations frontalières.