Le retrait différé des troupes rwandaises : un revirement calculé
Le changement de ton intervenu à Kinshasa début novembre, quand les autorités congolaises ont cessé d’exiger le départ immédiat des forces rwandaises du Nord-Kivu, a surpris plus d’un observateur. Officiellement, la République démocratique du Congo (RDC) affirme vouloir « donner sa chance à la voie diplomatique », après des semaines de combats intenses contre la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23) soutenu, selon elle, par Kigali (Reuters, 4 novembre 2023). En réalité, ce glissement s’inscrit dans une équation plus large, où la fatigue opérationnelle des FARDC, la pression humanitaire autour de Goma et l’urgente nécessité de préserver les corridors d’exportation du cuivre et du cobalt ont pesé lourd. L’acceptation d’un retrait progressif ouvre également la porte à des observateurs régionaux qui pourraient authentifier, étape par étape, la rétrocession des positions occupées par le M23 autour de Bunagana et Rutshuru.
Brazzaville, hub silencieux de la diplomatie régionale
Dans cette partie d’échecs à ciel ouvert, la République du Congo joue ses pièces avec discrétion mais détermination. Le président Denis Sassou Nguesso, doyen des chefs d’État de la région, a multiplié ces derniers mois les consultations feutrées avec ses homologues du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda. Selon une source diplomatique congolaise, « Brazzaville a servi de relais confidentiel entre Kigali et Kinshasa au plus fort des tensions de septembre ». Cette médiation officieuse s’appuie sur une pratique historique : des accords de paix angolais aux pourparlers centrafricains, le Congo-Brazzaville s’est forgé une réputation d’hôte impartial, capable d’offrir un espace sécurisé où se dessine la sortie de crise.
ECCAS et UA : leviers institutionnels d’une désescalade durable
Si les États invités à la table des négociations affichent des intérêts parfois divergents, la cadence des réunions extraordinaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) témoigne d’une volonté commune d’inscrire le règlement du conflit dans une architecture multilatérale. La présidence tournante de l’organisation, exercée par la Guinée équatoriale, a salué « le rôle constructif du Congo-Brazzaville » lors du sommet de Djibloho. À l’échelon continental, la Commission de l’Union africaine soutient le principe d’un mécanisme conjoint de vérification, tandis que l’Initiative de Luanda, portée par l’Angola, gagne en cohérence grâce à l’appui financier de la Banque africaine de développement. Là encore, Brazzaville se présente comme courroie de transmission, veillant à ce que les engagements pris collectivement soient compatibles avec les contraintes internes de chacune des capitales concernées.
Sécurité transfrontalière et économie fluviale : enjeux partagés
Au-delà de la seule dimension militaire, la crise M23 met en lumière la vulnérabilité du commerce intrarégional. Pour Brazzaville comme pour Kinshasa, le fleuve Congo demeure l’artère indispensable au transport de marchandises et de produits pétroliers. Une escalade prolongée risquerait de perturber la navigation entre Matadi, Boma et Pointe-Noire et d’entamer le fragile redressement post-pandémie. Le gouvernement congolais préconise donc un couplage entre cessez-le-feu sécurisé et relance des projets d’infrastructures fluviales, notamment la modernisation des quais de Loukolela et la mise aux normes du port d’Impfondo, afin de découpler la prospérité logistique des soubresauts politico-militaires.
Perspectives : vers une architecture de sécurité revisitée dans les Grands Lacs
Le retrait échelonné des éléments rwandais, la réinsertion programmée des anciens combattants du M23 et la montée en puissance d’une force régionale placée sous égide de l’EAC ouvrent la voie à une stabilisation progressive. Pour autant, les diplomates en poste à Brazzaville rappellent que « l’absence de victoire militaire décisive n’équivaut pas à une paix durable ». D’où l’insistance du Congo à promouvoir une approche holistique : dialogue politique, mécanismes de justice transitionnelle et initiatives de développement communautaire autour des parcs du Virunga et de Kahuzi-Biega. Derrière ce volontarisme, se profile une ambition assumée : inscrire le bassin du Congo dans un paradigme de sécurité collective où l’exploitation de la biodiversité, du gaz à flamme zéro et du numérique vert devient un facteur de convergence plutôt qu’un motif de confrontation. En cela, Brazzaville poursuit une tradition diplomatique pragmatique, fidèle à la maxime voulant que « les crises ne se résolvent pas, elles se transforment ».