Une convergence stratégique Sud-Sud
Le rendez-vous discret mais dense qui a réuni, le 4 juillet à Brazzaville, le secrétaire permanent du Comité interministériel de l’action de l’État en mer et dans les eaux continentales, Éric Olivier Sébastien Dibas-Franck, et le chargé d’affaires de l’ambassade du Maroc, Ahmmed Agargi, illustre la maturation d’une diplomatie Sud-Sud désormais mue par l’impératif de l’économie bleue. Au-delà de la courtoisie protocolaire, les deux interlocuteurs ont souligné la nécessité d’« une synergie d’expériences » pour affronter, dans un même élan, la piraterie, l’insécurité et la formation des ressources humaines (entretien du 4 juillet 2023, Brazzaville). Cette posture reflète la volonté du président Denis Sassou Nguesso de faire du Bassin du Congo un pôle de stabilité hydrique et énergétique, tout en demeurant attentif à la diversification de partenariats qui ne se limitent plus au seul axe Nord-Sud.
Cap sur la formation et l’expertise partagée
Le royaume chérifien, fort d’un littoral de plus de 3 500 kilomètres et d’institutions académiques reconnues, propose un transfert d’expertise qui épouse les priorités du Plan national de développement congolais. L’offre couvre les sciences hydrographiques, l’ingénierie portuaire, la recherche halieutique et la gestion intégrée des zones côtières. Selon une source diplomatique, un premier contingent de cadres congolais pourrait être accueilli dès 2024 dans les établissements de l’Académie internationale Mohammed VI de l’aviation civile et de l’Institut supérieur des pêches maritimes. À terme, l’ambition de Brazzaville est de constituer un vivier d’experts capables d’exploiter le potentiel fluvial du Pool Malebo jusqu’aux confins atlantiques du Kouilou, afin de fluidifier le transport intérieur et réduire le coût des importations.
Sécuriser les couloirs maritimes et fluviaux
La dimension sécuritaire s’impose comme l’autre pilier du dialogue. Sur l’axe Pointe-Noire–Lagos, la recrudescence d’attaques armées a rappelé la porosité des eaux du golfe de Guinée. Le Congo, à travers son Centre national de coordination de l’action de l’État en mer, plaide pour une mutualisation des moyens de surveillance, mais également pour un partage en temps réel du renseignement satellitaire. Rabat, déjà engagé dans des opérations multinationales de sûreté maritime en Méditerranée occidentale, offre son retour d’expérience en matière de commandement unifié et de cartographie des risques. L’objectif, confie un officier de la Marine congolaise, est de ramener le taux d’incidents signalés dans la zone à un niveau compatible avec l’attractivité des corridors énergétiques et miniers qui alimentent le commerce de la région.
Le Fonds Bleu, socle financier d’une ambition régionale
La coopération bilatérale s’inscrit dans l’architecture plus vaste du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, initiative portée depuis 2017 par le président Denis Sassou Nguesso et endossée par douze États africains, dont le Maroc. Ce dispositif financier, soutenu par la Commission climat du Bassin du Congo et le Centre de compétences en changements climatiques 4C Maroc, se veut l’instrument d’une croissance sobre en carbone et résiliente. Les projets prioritaires identifiés – réhabilitation des voies navigables, modernisation des pêcheries artisanales et développement d’une énergie hydro-solaire hybride – pourraient mobiliser, selon des estimations convergentes, près de 2 milliards de dollars sur la prochaine décennie. Rabat, fort de son expérience dans la mobilisation de la finance climat, accompagne Brazzaville dans la structuration de dossiers bancables auprès des guichets verts internationaux.
Vers une gouvernance intégrée des espaces aquatiques
Au-delà de l’ingénierie et du financement, la rencontre de Brazzaville témoigne d’un changement de paradigme : pour la première fois, la gestion des eaux continentales et maritimes est pensée comme un continuum écologique et socio-économique. Les futures réunions de la commission mixte, prévues par l’accord du 23 février 2010, devront préciser les mécanismes de coordination entre les autorités portuaires, les services hydrométéorologiques et les collectivités riveraines. Un diplomate congolais observe que « la gouvernance par bassins versants et façades maritimes sera, à terme, le socle de la diplomatie environnementale africaine ». En associant les opérateurs privés du fret, les communautés de pêcheurs et les organisations régionales, Brazzaville entend ancrer sa stratégie dans la pratique quotidienne des acteurs de terrain, tout en respectant les prescriptions de la Convention de Lomé sur la sûreté maritime.
Un horizon commun pour l’économie bleue africaine
Le dialogue Congo–Maroc, loin de se limiter à une normalisation technique, s’inscrit dans l’émergence d’une économie bleue africaine qui mobilise déjà les enceintes continentales, à l’image de l’Agence de développement de l’Union africaine. Dans son allocution de Marrakech en 2016, Denis Sassou Nguesso avait défendu l’idée d’« une alliance des fleuves et des mers » ; sept ans plus tard, la scène diplomatique lui donne raison. La coopération avec Rabat, par sa continuité, offre à Brazzaville l’opportunité d’asseoir une présence proactive dans les enceintes onusiennes traitant de biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. Si la route reste longue, l’entretien du 4 juillet aura rappelé qu’à l’échelle des eaux, le Congo et le Maroc partagent désormais un même horizon fait de sécurité, de formation et de croissance partagée.