Vienne, nouvelle scène d’une diplomatie économique congolaise proactive
Le choix de la capitale autrichienne pour sceller la nouvelle étape de la diversification congolaise n’a rien d’anodin. Vienne accueille depuis des décennies des organisations internationales spécialisées dans l’énergie et l’environnement, et se veut un pont discret entre l’Europe centrale et l’Afrique. C’est dans ce décor que Jean-Marc Thystère-Tchicaya, ministre chargé des Zones économiques spéciales et de la Diversification économique, et Rosalie Matondo, ministre de l’Économie forestière, ont entamé, du 22 au 26 juin 2025, une tournée de haut niveau à l’invitation de la société ASC Impact. Entourés de l’ambassadrice du Congo en Allemagne, Édith Itoua, les deux responsables ont tissé un réseau de contacts allant de l’ancien président autrichien Heinz Fischer à la ministre des Affaires étrangères Beate Meinl-Reisinger, en passant par l’ex-commissaire européenne Elisabeth Köstinger.
Une zone économique spéciale pensée comme laboratoire post-pétrole
Depuis la chute des cours du brut en 2020, Brazzaville multiplie les signaux en direction des investisseurs non liés aux hydrocarbures. La Zone économique spéciale d’Oyo-Ollombo, au centre-nord du pays, doit concentrer cette ambition. Conçue sur plus de 4 000 hectares, l’emprise combine logistique, industrie de transformation et agriculture à haute valeur ajoutée. Les protocoles d’accord que les ministres congolais s’apprêtent à parapher avec ASC Impact fixent un calendrier d’aménagement, de la construction d’axes routiers internes à l’installation de réseaux d’énergie renouvelable. « Nous voulons faire d’Oyo-Ollombo une vitrine régionale d’économie verte », confie un haut fonctionnaire congolais présent dans la délégation.
La carte verte : reboisement, afforestation et crédits carbone
Au cœur des négociations figure un programme forestier intégrateur mêlant reboisement, afforestation et gestion durable, porté localement par Aforest-Congo. Les projections tablent sur plus de 70 000 hectares plantés et la création d’un puits de carbone susceptible de générer des crédits négociables sur les marchés volontaires européens. ASC Impact évoque un premier tour de table de 100 millions d’euros rien que pour la phase sylvicole, tandis que Brazzaville insiste sur la co-gouvernance scientifique afin de garantir la traçabilité des puits de carbone. L’intérêt autrichien se nourrit autant de la perspective de titres carbone certifiés que de la possibilité de positionner ses technologies de monitoring forestier.
Des retombées industrielles attendues mais encore incertaines
La dimension industrielle du projet – usine de pâte à papier, scieries modernisées, agro-industries autour du manioc et du cacao – pourrait porter l’enveloppe globale au-delà du demi-milliard d’euros. Or les précédents, qu’il s’agisse de la Zone franche de Pointe-Noire ou du projet d’usine de méthanol de 2019, appellent à la prudence : retards d’infrastructures, volatilité des financements et contraintes sociales ont souvent freiné la concrétisation des annonces. À Vienne, les négociateurs congolais ont donc insisté sur la mise en place d’un comité de suivi mixte, assorti d’indicateurs de performance trimestriels, pour sécuriser les déboursements.
L’Autriche, partenaire discret mais influent sur la scène européenne
Si Vienne ne figure pas parmi les premiers pourvoyeurs d’aides bilatérales en Afrique centrale, son poids diplomatique se renforce depuis que la neutralité autrichienne attire investisseurs russes, chinois et moyen-orientaux venus chercher un cadre de négociation plus feutré qu’à Bruxelles. En s’adossant à ce hub, Brazzaville espère se prémunir des aléas politiques internes à l’Union européenne et accéder plus facilement aux guichets de la Banque européenne d’investissement, celle-ci manifestant un intérêt croissant pour les crédits carbone certifiés. « Le Congo a tout intérêt à diversifier ses interlocuteurs européens pour éviter la dépendance vis-à-vis d’une seule capitale », analyse un chercheur du Centre Ban Ki-moon.
Les signaux envoyés aux institutions financières internationales
Au-delà de la signature des protocoles, la présence conjointe des ministres de l’Économie forestière et des Zones économiques spéciales traduit la volonté de l’exécutif congolais de présenter un front uni, gage de crédibilité aux yeux des bailleurs. Dans le prolongement du récent accord triennal conclu avec le FMI, Brazzaville doit démontrer sa capacité à mobiliser des investissements productifs, tout en respectant ses engagements environnementaux. L’agenda viennois, en articulant industrialisation, gestion forestière durable et monétisation du carbone, répond aux recommandations de la Banque mondiale sur la création de chaînes de valeur locales. Reste que la matérialisation de ces ambitions dépendra de la capacité des partenaires à aligner les exigences de rentabilité privée sur les impératifs de souveraineté nationale et de gouvernance forestière.
Au sortir de cinq jours de pourparlers feutrés dans les salons viennois, la délégation congolaise repart avec des lettres d’intention chiffrées et la promesse d’une task-force technique dès l’été. Les diplomates présents ont noté la prudence autrichienne, plus encline à des engagements séquencés qu’à une mise de fonds immédiate. Dans les couloirs du palais de la Hofburg, un conseiller résume l’équation : « Le Congo apporte l’espace, l’Autriche la technologie ; il reste à convaincre les financiers que le mariage sera durable. »