Une trajectoire continentale propulsée par l’AfCFTA
Les dernières estimations conjointes du Fonds monétaire international et de l’Afreximbank convergent : le commerce africain pourrait atteindre le seuil symbolique de 1 500 milliards de dollars dès 2025, soit un rythme de progression annuel moyen de 5,1 % jusqu’en 2026, nettement supérieur aux tendances mondiales. Cette accélération s’explique en grande partie par la montée en puissance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), initiée en 2018 et entrée dans sa phase opérationnelle en janvier 2021. En abaissant progressivement les barrières tarifaires, en harmonisant les procédures douanières et en favorisant l’émergence de chaînes de valeur régionales, l’accord transforme le paysage économique du continent. L’Afrique centrale, souvent décrite comme « l’épine dorsale verte » de la région, devrait enregistrer un bond de 12 % par an de son commerce intrarégional, preuve que la dynamique n’est plus cantonnée aux hubs traditionnels d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe.
La position stratégique du Congo dans les chaînes de valeur régionales
Au cœur de l’Afrique centrale, le Congo-Brazzaville entend tirer parti de cette conjoncture inédite. La vocation portuaire de Pointe-Noire, en eaux profondes, confère déjà au pays un atout logistique majeur sur le corridor atlantique. Les autorités, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, misent sur la modernisation de cette plateforme – évoquée comme « la porte océane de la ZLECAf » par plusieurs analystes – pour canaliser les flux entre l’hinterland centrafricain et les marchés d’Afrique de l’Ouest. À Brazzaville, la diplomatie économique s’emploie parallèlement à promouvoir des zones économiques spéciales, à commencer par celle de Maloukou-Tréchot, conçues pour attirer des investisseurs orientés vers la transformation locale du bois, des minerais et de l’agro-industrie. Dans la logique de la ZLECAf, l’objectif officiel est de passer d’une économie d’exportation de matières premières à une économie d’exportation de produits à plus forte valeur ajoutée.
Infrastructure et connectivité : l’équation logistique reste centrale
Le diagnostic posé par la vice-présidente exécutive d’Afreximbank, Kanayo Awani, demeure sans appel : « Les Africains ne commerçaient pas entre eux, non par manque de volonté, mais par déficit d’intelligence de marché et de connectivité ». Le Congo n’échappe pas à cette réalité. Les tracasseries sur le corridor routier Pointe-Noire–Brazzaville, les goulots d’étranglement ferroviaires vers le nord et la vétusté partielle du réseau fluvial sur le fleuve Congo limitent encore l’ampleur des échanges intrarégionaux. Conscient de ces contraintes, le gouvernement a engagé des travaux de réhabilitation de la ligne CFCO, de construction du pont route-rail reliant Brazzaville à Kinshasa et de modernisation du port de Ndjoundou sur la Sangha. Ces projets, soutenus par la Banque africaine de développement et la Banque mondiale, visent à réduire de 30 % le coût logistique des marchandises congolaises à l’horizon 2026, une condition sine qua non pour capter la manne commerciale promise par la ZLECAf.
Industrialisation, capital humain et numérique : leviers de compétitivité
Le président d’Afreximbank, Benedict Oramah, martèle que « l’industrialisation restera l’antidote à la volatilité de l’économie mondiale ». Au Congo, la stratégie industrielle 2022-2026 place la formation professionnelle et la digitalisation au premier rang des priorités. L’implantation d’incubateurs technologiques à Brazzaville et Oyo, l’extension de la fibre optique au corridor régional C2 (Cabinda-Pointe-Noire-Libreville) et l’expérimentation d’un guichet unique électronique pour les formalités douanières illustrent cette orientation. À terme, l’administration cible une réduction du délai de dédouanement portuaire de 96 heures à 48 heures, afin de se rapprocher des standards de Durban ou de Tanger Med. La Banque mondiale estime qu’un tel gain d’efficacité pourrait ajouter 1,2 point de pourcentage au PIB congolais d’ici 2025, en attirant des industries légères désireuses de profiter du vaste marché continental.
Vers un nouveau pacte commercial panafricain pragmatique
Au-delà des infrastructures, l’enjeu central reste la multiplication de plateformes d’échanges structurés. La prochaine Foire commerciale intra-africaine (IATF 2025) d’Alger, mise en avant par Kanayo Awani, devrait offrir aux entreprises congolaises une vitrine pour sécuriser des contrats de fourniture régionaux. Brazzaville, déjà signataire de l’initiative Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS), espère fluidifier les règlements en monnaies locales, un dispositif perçu comme un amortisseur face à la volatilité du dollar. Dans un contexte de pressions inflationnistes globales et de ralentissement de l’économie chinoise, la diversification géographique des débouchés devient impérative. Les diplomates congolais plaident donc pour un « Africa-first » pragmatique : soutenir la préférence continentale sans se refermer, renforcer les règles d’origine pour stimuler la fabrication locale, mais maintenir un climat d’affaire ouvert aux capitaux internationaux. Cette posture, jugée équilibrée par plusieurs partenaires multilatéraux, pourrait consolider la place du Congo comme interface entre le Golfe de Guinée et le cœur continental.
Entre promesse et responsabilité : les atouts maîtrisés du Congo
Si l’horizon des 1 500 milliards de dollars d’échanges africains apparaît désormais crédible, sa matérialisation dépendra de la capacité des États à combler les failles structurelles identifiées. Le Congo-Brazzaville dispose d’atouts géographiques et logistiques indéniables, mais la montée en gamme de ses exportations, la densification de son réseau de transport interne et l’élévation des compétences techniques de sa jeunesse seront tout aussi déterminantes. Les signaux envoyés par les autorités, qu’il s’agisse des investissements dans les corridors multimodaux ou de la simplification des procédures fiscales, traduisent une volonté claire d’embrasser la ZLECAf comme un levier de croissance inclusive. Pour les diplomates et décideurs réunis récemment à Brazzaville lors du Forum économique CEEAC-CEE, le message est sans ambiguïté : l’intégration régionale n’est pas un slogan, mais un chantier quotidien, porté au plus haut niveau de l’État et soutenu par des partenaires multilatéraux attentifs. Dans cet esprit, la trajectoire ascendante du commerce africain pourrait offrir au Congo non seulement une opportunité de diversification mais aussi un rôle pivot dans la redéfinition des rapports économiques du continent.