Les enjeux de la diplomatie culturelle africaine
Dans un univers international où le récit façonne souvent le réel, la culture est devenue l’un des attributs clés du pouvoir d’influence. Le continent africain, longtemps perçu à travers le prisme de la dépendance éditoriale, voit aujourd’hui l’émergence d’acteurs capables de redessiner la cartographie mondiale des imaginaires. Selon l’UNESCO, la valeur économique des industries culturelles et créatives africaines dépasse désormais 58 milliards de dollars annuels, un chiffre appelé à croître de 4 % par an (UNESCO, 2021). Cette dynamique confère aux éditeurs un rôle stratégique : transformer la richesse narrative locale en un outil diplomatique susceptible d’influer sur les perceptions internationales.
Le parcours de Christelle Noah, miroir d’une génération
Née à Douala au tournant des années 1990, Christelle Noah appartient à cette cohorte de professionnels africains formés à la double école des humanités et du management. Après des études de littérature comparée à Yaoundé, complétées par une spécialisation en économie du livre à Paris, elle rentre au Cameroun en 2014 pour fonder sa maison d’édition, Kweli Press. À l’heure où de nombreux diplômés privilégient encore l’exil, son choix d’enracinement fut salué par le ministère des Arts et de la Culture comme « un acte de patriotisme économique ». La ligne éditoriale de Kweli Press, résolument tournée vers les voix féminines et la traduction croisée, reflète une volonté de tisser des passerelles entre les lectorats francophone, anglophone et lusophone du continent.
Création éditoriale et influence géopolitique
Dans les couloirs feutrés des chancelleries, il n’est plus rare d’entendre évoquer l’édition comme instrument de soft power. Le lancement, en 2022, de la collection « New African Narratives » de Kweli Press a retenu l’attention de plusieurs instituts culturels européens, lesquels ont cofinancé des tournées d’auteurs camerounais à Berlin, Bruxelles et Ottawa. « Chaque texte est une ambassade mobile », souligne Noah, expliquant que le livre, par sa portabilité symbolique, permet d’installer au cœur des métropoles du Nord un contre-récit africain affranchi des schèmes postcoloniaux. Pour les diplomates camerounais, ce rayonnement littéraire constitue un atout supplémentaire dans les négociations autour des Accords de partenariat économique avec l’Union européenne.
Défis structurels et potentialités continentales
La trajectoire ascendante de l’édition africaine se heurte toutefois à des contraintes matérielles : coûts de production élevés, faible maillage de distribution et piratage endémique. D’après la Banque africaine de développement, seuls 38 % des ouvrages imprimés en Afrique subsaharienne accèdent à un circuit régional régulier (BAD, 2022). Noah plaide pour la mutualisation logistique à l’échelle de la CEDEAO et de la CEMAC, ainsi que pour la création de fonds souverains dédiés à la promotion de la lecture. Elle rappelle que « l’alphabétisation demeure l’infrastructure invisible du développement ». Parallèlement, la révolution numérique ouvre de nouveaux espaces : la plateforme e-Kweli, lancée en 2021, écoule déjà 40 % de ses titres en version électronique auprès de la diaspora nord-américaine, contournant ainsi les goulets d’étranglement douaniers.
Perspectives pour les décideurs et diplomates
Pour les États africains, soutenir leurs industries éditoriales revient à consolider leur position dans le concert des nations. Les partenaires internationaux, de leur côté, découvrent que la coopération culturelle ne se résume plus à une politique d’aide, mais constitue une négociation d’influences réciproques. La récente inscription du Salon international du livre de Yaoundé dans le circuit des foires soutenues par l’Organisation internationale de la Francophonie confirme cette mutation. L’exemple de Christelle Noah démontre qu’un entrepreneuriat culturel fondé sur la résilience et la finesse stratégique peut convertir un manuscrit en vecteur de prestige national. « L’Africain se distingue de plus en plus à l’échelle mondiale, porté par une culture dont la singularité séduit et inspire bien au-delà du continent », affirme l’éditrice. À l’heure où les équilibres globaux se redessinent, les décideurs seraient avisés de reconnaître dans chaque livre publié au sud du Sahara l’esquisse d’une négociation silencieuse, mais décisive, pour la place de l’Afrique dans l’imaginaire du XXIᵉ siècle.