Une base inédite à Dalloge, point nodal du corridor sahélien
L’annonce, discrète mais confirmée par plusieurs services de renseignement sahéliens, de la création d’une katiba de l’État islamique du Sahel à Dalloge, à douze kilomètres d’Ezza dans la région de Tillabéri, constitue un tournant stratégique. Pour la première fois, l’organisation projette une présence permanente sur le territoire nigérien hors des zones frontalières classiques, matérialisant l’ambition d’un continuum territorial entre le Gourma malien et les plaines septentrionales du Nigeria.
La localisation n’a rien d’anodin : carrefour de pistes forestières, la zone offre un couvert végétal dense et l’accès à un cours d’eau utilisable toute l’année, conditions idéales pour l’implantation d’une base de repli, de formation et de transit logistique. Le choix illustre la manière dont les groupes jihadistes compensent la perte de certains sanctuaires maliens par une dispersion contrôlée, profitant des interstices administratifs qui jalonnent la frontière Niger-Mali.
Lakurawa : d’autodéfense rurale à partenaire jihadiste
De l’autre côté de la frontière, dans les États nigérians de Sokoto et Kebbi, le groupe Lakurawa incarne une hybridation singulière entre milice communautaire et mouvement se réclamant du djihad. Déclaré organisation terroriste par Abuja en 2024, Lakurawa est, selon le chercheur John Sunday Ojo, « né de la convergence entre insécurité pastorale et ambitions idéologiques ». Ses premiers commandos auraient été recrutés en 2017 pour protéger des communautés rurales contre le banditisme endémique.
Depuis, le mouvement a consolidé un contrôle social fondé sur une application rigoriste de la charia, financée par les enlèvements contre rançon et le vol de bétail. Cette mutation l’a naturellement rapproché de l’État islamique au Sahel, en quête d’un relais local pour accéder aux marchés criminels florissants du nord-ouest nigérian.
Commandement peul : entre solidarités familiales et pragmatisme opérationnel
Au sommet de la nouvelle configuration, trois figures illustrent la perméabilité des lignes nationales. Saadou Korsinga, chef de la katiba de Dalloge, est le frère cadet de Namata Korsinga, alias Farouk, qui coordonne l’appareil militaire de Lakurawa. Plus haut dans la chaîne de commandement, l’émir Perodji Dioulde, dit Katab, supervise l’ensemble du dispositif entre Inkarfane, Konni et Menaka.
Tous trois appartiennent aux réseaux peuls transfrontaliers qui sillonnent la boucle du Niger. Leur enracinement social confère une légitimité locale que l’idéologie seule ne suffirait pas à assurer. Pour les spécialistes, cette appropriation communautaire explique la rapidité des déploiements et la fluidité des filières de ravitaillement d’armes et de combattants.
Pression militaire et contre-coups nigériens
L’établissement de Dalloge précède de quelques semaines deux assauts d’envergure contre les garnisons nigériennes de Tillabéri et Tahoua, les 25 mai et 19 juin 2025. Plusieurs dizaines de soldats ont perdu la vie dans des attaques coordonnées mobilisant des colonnes motorisées et des drones d’observation rudimentaires. Pour un officier de l’état-major à Niamey, « l’objectif était d’ouvrir une brèche en triangulant Sanam, Banibangou et Tillia afin de sécuriser le corridor vers Birni N’Konni ».
En réaction, les autorités nigériennes ont renforcé la Task Force Confluence, impliquant unités spéciales, surveillance aérienne et coopération avec les groupes d’autodéfense locaux. Cependant, la junte au pouvoir doit encore concilier l’urgence sécuritaire et la nécessité d’éviter les exactions communautaires, terrain fertile pour les narratifs jihadistes.
Répercussions régionales et marge de manœuvre diplomatique
La consolidation d’un arc allant du Gourma à Sokoto rebat les cartes pour les États côtiers, Bénin en tête, déjà confrontés à la poussée d’Al-Qaïda depuis le nord. Elle complexifie également le dispositif des missions onusiennes et limite la portée des sanctions économiques envisagées par la CEDEAO, en l’absence d’un consensus robuste sur l’emploi de la force.
Dans les chancelleries, l’heure est au réalisme. Plusieurs diplomates plaident pour une intermédiation discrète associant médiateurs religieux peuls et facilitateurs sahéliens, à l’image du protocole de 2014 qui avait permis la libération de ressortissants européens dans la même zone. À long terme, la résilience institutionnelle du Niger et la coopération sécuritaire avec Abuja apparaissent comme les principaux leviers pour assécher la diagonale jihadiste sans aggraver les tensions sociales.