Une diplomatie de la compétence qui dépasse les barils
Dans le huis clos feutré d’un salon du Centre des conventions d’Oran, Maixent Raoul Ominga et Rachid Hachichi n’ont pas seulement échangé des poignées de main. En signant, le 24 juin, une convention de formation au profit de dix-neuf étudiants congolais, les dirigeants de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) et de Sonatrach ont fait le pari que le soft power du XXIᵉ siècle se mesurera autant en ingénieurs qu’en barils. La scène, en marge des Journées scientifiques et techniques du géant algérien, illustre la vitalité d’une diplomatie économique Sud-Sud où l’expertise devient monnaie d’influence aussi précieuse que l’or noir.
Un cursus d’ingénierie adossé à l’Université de Boumerdès
Les dix-neuf bénéficiaires congolais suivront un cycle complet d’ingénierie pétrolière dispensé par l’Institut algérien de pétrole et académiquement adossé à l’Université M’Hamed-Bougara. Le programme, calibré sur quatre années, mêle géosciences, exploitation de réservoirs et gestion des installations offshore. « Nous avons insisté pour que la formation intègre une composante spécifique sur la réduction des émissions fugitives », confie un cadre pédagogique, preuve que la conformité environnementale irrigue déjà les salles de cours.
La convention s’inscrit dans la continuité d’un accord-cadre paraphé en novembre 2023, lequel a déjà permis à quarante-neuf agents de la SNPC d’être certifiés, puis immergés sur les sites opérationnels de Sonatrach, de Hassi Messaoud aux terminaux gaziers d’Arzew. Ce compagnonnage prolongé répond à un besoin pressant : l’industrie pétrolière congolaise, confrontée au déclin naturel de certains champs matures, doit hisser ses standards techniques au niveau international pour rentabiliser l’exploitation de réservoirs plus complexes.
Moderniser la CORAF : un test grandeur nature pour l’alliance
Au-delà de la formation initiale, les deux sociétés ont acté la création d’un groupe projet conjoint chargé d’assister la modernisation de la Congolaise de Raffinage (CORAF), maillon industriel stratégique situé à Pointe-Noire. Le chantier, estimé à plusieurs centaines de millions de dollars, vise à accroître le rendement de la raffinerie, mais aussi à abaisser sa signature carbone. « L’Algérie apporte un savoir-faire éprouvé sur les unités de désoufrage, nous fournissons l’accès au marché d’Afrique centrale », résume, sous couvert d’anonymat, un négociateur congolais présent à Oran.
Pour Brazzaville, cette coopération technique pourrait servir de banc d’essai à un mode de financement novateur : un swap savoir-faire contre part de production, inspiré des logiques de local content nigérianes. L’idée séduit déjà certains bailleurs multilatéraux attentifs à la montée en puissance des partenariats africains endogènes.
Transition énergétique : entre pragmatisme gazier et pari hydrogène
L’accord éducatif ne se déploie pas en vase clos ; il s’imbrique dans la stratégie plus large de la SNPC visant à valoriser le gaz associé et à préparer la première exportation congolaise de GNL. Sur les champs de Nanga 1 ou Zinga 2, le torchage recule au profit de la réinjection, tandis qu’un consortium conduit par New Fortress Energy a déjà mouillé une unité flottante de liquéfaction au large de Pointe-Noire.
Dans le même temps, la prospection de l’hydrogène naturel et de l’hélium dans le bassin de la Cuvette aiguise l’appétit des majors. Si les espoirs demeurent exploratoires, la perspective d’un « hydrogène de roche » faiblement émissif confère à la SNPC une carte géopolitique potentiellement décisive. L’Algérie, pionnière des technologies de captage-stockage à In Salah, entend partager retours d’expérience et protocoles HSE, consolidant ainsi son image de hub méditerranéen de la transition énergétique.
Un levier d’influence pour Brazzaville et Alger
La subtilité de l’opération tient à son double dividende. Pour le Congo, former en externe un vivier d’ingénieurs limite la fuite des talents et épaissit un tissu de relations personnelles qui, demain, fluidifiera la diplomatie pétrolière. Pour l’Algérie, exporter son modèle académique renforce son leadership régional à un moment où la concurrence marocaine et les appétits du Golfe s’aiguisent.
À Washington comme à Bruxelles, l’initiative est scrutée : elle illustre la capacité de deux compagnies publiques africaines à construire un partenariat « sans tutelle », selon le mot d’un diplomate de l’Union africaine. Reste à vérifier la pérennité financière du dispositif, et la faculté des jeunes diplômés à trouver, au Congo, des projets à la hauteur de leurs nouvelles compétences.
Cap sur 2028 : entre réalisme budgétaire et ambition panafricaine
Les premiers ingénieurs issus du programme fouleront le sol congolais à l’horizon 2028. Leur intégration au sein des équipes chargées de l’extension du gisement de Kouakouala 2 constituera un indicateur concret de succès. À l’échelle macroéconomique, le ministère congolais des Finances table sur un gain de 0,3 % du PIB lié à la réduction des prestations étrangères de services techniques.
Au-delà des chiffres, la convention SNPC-Institut algérien de pétrole incarne une narration africaine de la transition énergétique : celle d’États producteurs qui embrassent le pragmatisme, investissent dans la connaissance et revendiquent le droit de négocier d’égal à égal avec les marchés mondiaux. Sous le soleil d’Oran, c’est peut-être un nouveau chapitre de l’autonomie stratégique continentale qui vient de s’écrire.