Trajectoire d’excellence et enjeux continentaux
Né à Aioun, à la lisière du désert mauritanien, Ibrahima Ba incarne cette génération africaine formée à la croisée de plusieurs systèmes éducatifs et désormais appelée à dessiner les nouvelles routes de l’économie numérique. Son itinéraire, jalonné par la médecine à Dakar, la physique à Nouakchott, puis l’ingénierie à l’École des Mines de Saint-Étienne, illustre une mobilité académique dont l’Afrique a longtemps pâti mais qu’elle commence aujourd’hui à valoriser comme un atout stratégique. Le diplomate averti y lira le signe d’une diplomatie de la connaissance où les capitaux humains deviennent des vecteurs de soft power autant que de développement.
Un parcours académique à la croisée des continents
Contraint de quitter son pays après les événements de 1989, Ibrahima Ba rejoint la France à un moment où l’Europe s’interroge déjà sur la pénurie d’ingénieurs spécialisés dans les matériaux avancés. Son passage au Argonne National Laboratory, haut lieu de la recherche fédérale américaine, lui permet de côtoyer des experts de la supraconductivité au moment précis où Washington cherchait à réduire sa dépendance technologique vis-à-vis du Japon. Ce détour par le secteur public américain éclaire la suite de sa trajectoire : comprendre comment la science peut servir des intérêts économiques globaux, puis la mettre au service de régions encore sous-connectées.
Des laboratoires publics à la stratégie privée
La transition vers le conseil stratégique, soutenue par un MBA à Kellogg, inscrit Ibrahima Ba dans la tradition anglaise du « policy-driven business » : penser la planification industrielle comme un exercice de diplomatie économique. Chez Oliver Wyman, puis Lumen, il pilote la modernisation de réseaux de fibre aux États-Unis et en Europe, un savoir-faire qu’il transférera plus tard aux marchés émergents. Le choix de rejoindre HIP Consult, boutique washingtonienne dédiée aux infrastructures dans le Sud global, marque une inflexion volontariste : conjuguer rendement financier et impact sociétal, notamment à l’approche de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, où la connectivité devint un enjeu reputational pour le continent.
Facebook, devenu Meta, et la diplomatie des câbles
Lorsqu’il arrive à Menlo Park en 2016, la firme de Mark Zuckerberg affiche une ambition claire : faire de la connectivité un service universel, de Brazzaville à Bangalore. Ibrahima Ba hérite d’un portefeuille couvrant d’abord l’Afrique, puis l’Asie et l’Amérique latine. Les chancelleries suivent attentivement ces investissements privés qui redessinent la géopolitique des télécommunications, autrefois domaine réservé des opérateurs d’État. Ses interlocuteurs, du ministère des Postes et Télécommunications du Congo-Brazzaville aux agences de régulation indonésiennes, saluent généralement la capacité de Meta à partager le risque avec les acteurs publics sans jamais remettre en cause la souveraineté des États.
2Africa et les nouvelles routes numériques
Projet emblématique, 2Africa est aujourd’hui le plus long câble sous-marin du monde : 45 000 kilomètres reliant 33 pays, dont 19 africains, et desservant aussi bien la façade atlantique que l’océan Indien. Ibrahima Ba y voit une « route de la soie digitale » qui, à terme, pourrait rapprocher les places financières de Casablanca, Pointe-Noire et Singapour. Les économistes estiment qu’une augmentation de 10 % du débit international se traduit par un gain de 1,4 % du PIB en Afrique subsaharienne (chiffres UIT), argument qui a convaincu plusieurs banques de développement régionales de cofinancer les stations d’atterrissage.
Souveraineté technologique africaine : défis et perspectives
Depuis Washington, Ibrahima Ba observe la montée d’un discours continental sur l’autonomie numérique : hébergement local des données, fiscalité adaptée aux plateformes et incubation d’applications endogènes. Il rappelle que l’Afrique est « mobile-first », mais encore loin du « cloud-first » qui conditionne l’essor de services à forte valeur ajoutée. L’ingénieur souligne la nécessité d’écosystèmes capables de retenir le contenu, faute de quoi le trafic continuera d’être routé via Francfort ou Marseille, avec un coût supplémentaire de l’ordre de 30 % pour les utilisateurs. Les récents progrès du Congo-Brazzaville dans l’hébergement local témoignent d’une prise de conscience croissante, souvent stimulée par des partenariats public-privé équilibrés.
Entre risques sécuritaires et empreinte carbone
Ibrahima Ba n’élude ni la question de la cybersécurité ni celle de la durabilité. Toute infrastructure de câbles longeant des zones maritimes sensibles est exposée à des coupures accidentelles ou à des actes hostiles ; d’où la multiplication de centres d’opérations partagés entre États riverains. Sur le plan environnemental, il reconnaît que les centres de données hungry for power appellent une gouvernance peu coûteuse en carbone. Le Congo-Brazzaville, avec son potentiel hydroélectrique, figure parmi les sites prospectifs capables de concilier croissance numérique et transition verte, sujet appelé à devenir central dans les négociations climatiques à venir.
Un plaidoyer pour la jeunesse du continent
Interrogé sur le conseil à donner aux jeunes Africains, Ibrahima Ba insiste sur le rôle de la curiosité. « La trajectoire linéaire est un mythe, l’apprentissage permanent reste la seule constante », confie-t-il. Il cite l’exemple d’ingénieurs mauritaniens aujourd’hui recrutés à Dakar pour superviser des réseaux 4G déployés en milieu rural, preuve que la mobilité intracontinentale peut fonctionner. À l’heure où les États peaufinent leurs stratégies numériques, le message résonne comme un appel à faire de la formation et de la recherche un pilier de la diplomatie régionale.
Vers une diplomatie de la connectivité inclusive
Le parcours d’Ibrahima Ba démontre que la connectivité n’est plus un simple service technique mais un instrument de politique étrangère. À travers 2Africa, les projets fibre en Indonésie ou les réseaux ruraux en Ouganda, se dessine un maillage où intérêts privés et impératifs publics se confondent. L’Afrique dispose, selon lui, d’une fenêtre stratégique : transformer sa croissance démographique en dividende numérique, à condition de sécuriser ses tuyaux, d’éclairer ses centres de données et de placer la jeunesse au cœur du projet. Aux yeux des diplomates, l’enjeu est clair : bâtir une souveraineté numérique ouverte, où la coopération internationale vient renforcer, non diluer, la capacité d’action des États.