La promesse d’un pont électrique entre deux royaumes
Conçu comme l’un des plus longs câbles sous-marins jamais réalisés, le projet Xlinks devait relier les plaines arides de Guelmim-Oued Noun aux falaises du Devon pour acheminer 3 800 kilomètres plus loin une électricité solaire et éolienne à bas coût. Les promoteurs affichaient un objectif de 10,5 GW installés, capables de couvrir jusqu’à 8 % de la demande britannique. La configuration, résolument hors normes, plaçait le Royaume du Maroc au centre de la diplomatie énergétique euro-atlantique tout en confortant le Royaume-Uni dans sa quête d’approvisionnements bas-carbone post-Brexit.
Le virage stratégique de Londres et ses justifications
Début mars, le Department for Energy Security and Net Zero a confirmé qu’aucune négociation formelle ne serait engagée pour un Contrat pour différence de vingt-cinq ans. Le gouvernement de Rishi Sunak affirme privilégier la sécurisation de ressources nationales, notamment l’éolien offshore flottant en mer du Nord et le nucléaire de nouvelle génération. Officiellement, la manœuvre répond à l’impératif de souveraineté énergétique renforcé par les turbulences géopolitiques provoquées par la guerre russe en Ukraine. Officieusement, plusieurs analystes à Londres estiment que l’exécutif redoute aussi le coût politique d’un engagement financier de vingt milliards de livres auprès d’une infrastructure étrangère, fût-elle verte.
Xlinks entre résilience entrepreneuriale et diplomatie énergétique
À Rabat comme à Londres, les équipes de Xlinks se gardent de tout alarmisme. « Nous poursuivons le processus de Development Consent Order et gardons notre calendrier initial », confie un cadre de l’entreprise sous couvert d’anonymat. Concrètement, la phase d’ingénierie détaillée se poursuit, tandis qu’un tour de table financier alternatif se dessine autour de fonds d’infrastructures européens et du Moyen-Orient. Des discussions préliminaires auraient même été ouvertes avec de grands consommateurs industriels allemands et espagnols, désireux de sécuriser de l’électricité décarbonée à prix fixe alors que les certificats d’émission de CO₂ flirtent avec des niveaux records.
Les intérêts marocains, entre rayonnement régional et stratégie bas-carbone
Côté marocain, le projet s’inscrit dans une trajectoire déjà engagée de montée en puissance des renouvelables. À l’horizon 2030, Rabat vise 52 % de capacité électrique bas-carbone, une cible jugée réaliste par la Banque mondiale. Pour les autorités, Xlinks représente un levier d’exportation comparable à l’agro-alimentaire ou au phosphate : il diversifie les recettes en devises et renforce l’image de hub énergétique continental. Le silence observé par le gouvernement après la décision britannique n’est pas un désaveu, mais s’apparente plutôt à une posture diplomatique prudente, la page du financement n’étant pas encore tournée.
Alternatives européennes et dynamique de marché
Le moment où le Royaume-Uni rebat ses cartes coïncide avec une Europe en quête frénétique d’approvisionnements verts pour verdir son mix et soutenir la réindustrialisation. Bruxelles a récemment ouvert la voie à des cadres contractuels transfrontaliers, inspirés des Green Energy Hubs, qui permettraient à un projet extra-européen d’obtenir un soutien public indirect via les États membres. Plusieurs capitales y voient un moyen d’atteindre les objectifs Fit for 55 sans alourdir la facture budgétaire domestique.
Dans ce contexte, l’électricité marocaine, bénéficiant d’un ensoleillement constant et de régimes de vent nocturnes, présente un coût marginal déjà inférieur à 30 €/MWh, selon l’Agence marocaine pour l’énergie durable. Ce différentiel s’avère décisif alors que les prix spot européens demeurent volatils. Les négociations exploratoires menées par Xlinks avec des industriels électro-intensifs s’appuient sur cet avantage compétitif.
Lecture géopolitique et perspectives
Au-delà du cas d’école financier, l’épisode révèle l’existence d’une diplomatie de l’interconnexion où chaque mégawatt transfrontière devient instrument de soft power. Le Maroc consolide son positionnement africain de producteur propre, tandis que le Royaume-Uni doit arbitrer entre insularité énergétique et ouverture commerciale. « Le dossier n’est pas clos, il se déplace simplement vers un terrain plus continental », résume un ancien négociateur de la Commission européenne.
Si Xlinks parvient à sécuriser des acheteurs alternatifs, le projet pourrait symboliser l’émergence d’un marché euro-méditerranéen de l’électricité verte, où l’État devient moins acheteur que facilitateur. A contrario, un retrait définitif relancerait le débat sur la dépendance technologique de l’Europe vis-à-vis de partenaires extérieurs, thème déjà sensible dans le domaine critique des terres rares. Quelle que soit l’issue, l’architecture énergétique du continent sortira transformée, dessinant des lignes de force que diplomates et investisseurs scrutent déjà avec attention.