Un fauteuil viennois à forte portée orbitale
À Vienne, berceau des grands traités de non-prolifération, la désignation du professeur Rafiq Akram, directeur du Centre royal de télédétection spatiale, à la présidence de la 68ᵉ session du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS) n’a rien d’anecdotique. Elle s’est opérée par acclamation, signe que les vingt-trois États africains réunis au sein du groupe régional ont cette fois parlé d’une seule voix. Rares sont les occasions où le continent parvient à placer l’un des siens à la tête d’un organe onusien aussi stratégique. La symbolique ne doit pas masquer la réalité : la COPUOS, créée en 1959, demeure le forum où se discutent les règles tacites – et parfois explicites – de la gouvernance d’un milieu orbital de plus en plus saturé.
Le programme Space2030 en toile de fond
L’agenda adopté pour cette session reflète l’ampleur des défis : mise à jour du rapport sur l’utilisation des technologies d’observation au service du développement durable, examen de la contribution des satellites à la gestion de l’eau et du climat, et poursuite du chantier Space2030, feuille de route censée rationaliser les activités spatiales civiles des Nations unies. En coulisses, plusieurs délégations occidentales s’inquiètent de la multiplication des méga-constellations privées et de l’absence de mécanismes de désorbitation contraignants. Pour Akram, la priorité est claire : « Concilier innovation et responsabilité afin de ne pas transformer l’orbite basse en décharge publique », confie-t-il, rappelant que plus de six mille satellites gravitent déjà autour de la Terre.
La carte africaine, entre solidarité et affirmation stratégique
Le Maroc mise sur une diplomatie de proposition. À travers un événement parallèle co-organisé avec le Bureau des affaires spatiales de l’ONU, intitulé « Celebrating African Space Development », Rabat entend fédérer les agences émergentes du continent, du Nigerian Space Research and Development Agency à la South African National Space Agency. L’objectif est double : démontrer que l’Afrique peut contribuer à la cartographie des ressources hydriques ou à la prévention des catastrophes, et rappeler que la souveraineté numérique passe aussi par l’accès aux données géospatiales. Dans les couloirs du centre de conférences, les délégués éthiopiens soulignent que l’imagerie satellitaire a divisé par deux le temps de réponse humanitaire lors des récentes inondations au Soudan.
Soft power chérifien et crédibilité scientifique
Depuis le lancement des satellites Mohammed VI-A et Mohammed VI-B, Rabat cultive un savoir-faire reconnu dans la télédétection à haute résolution. Cette maîtrise technologique alimente un récit national centré sur l’innovation et la stabilité, ce que les diplomates qualifient désormais de « soft power orbital ». Pour autant, la présidence marocaine devra composer avec des équilibres subtils : l’Inde, les Émirats arabes unis et la Chine défendent une approche plus commerciale de l’espace, quand plusieurs pays latino-américains insistent sur la dimension patrimoniale de l’orbite. À Vienne, le consensus se fabrique acte par acte, souvent à huis clos, autour de formulations à la ponctuation millimétrée.
Vers un multilatéralisme orbital réinventé
La session se clôturera sur un rapport destiné à l’Assemblée générale. Derrière les paragraphes techniques, c’est une architecture de gouvernance mondiale qui se dessine. La question de la militarisation subtile de l’espace demeure taboue, mais tous admettent que la frontière entre usage civil et usage stratégique s’effrite. À la tribune, la directrice de l’UNOOSA, Aarti Holla-Maini, prévient que « la viabilité de l’environnement spatial est un test grandeur nature pour la coopération internationale ». En acceptant la présidence, Rabat s’expose à un exercice d’équilibriste : avancer les intérêts africains tout en veillant à ne pas froisser les grandes puissances qui pilotent l’expansion du New Space. Le succès se mesurera à la capacité du Maroc à faire émerger des lignes directrices sur la gestion des débris, la transparence des lancements et l’inclusivité des données. Au-delà des communiqués, c’est le degré d’appropriation par les acteurs privés et les agences nationales qui décidera de la portée réelle des résolutions.
Un rendez-vous test pour Rabat et pour l’ONU
À l’heure où la concurrence géopolitique se déplace des abysses aux confins de l’orbite lunaire, la COPUOS reste l’un des rares espaces de dialogue où Washington, Pékin et Moscou acceptent encore de s’asseoir à la même table. En présidant les débats, le Maroc s’offre une fenêtre médiatique mais aussi une délicate responsabilité : maintenir la conversation ouverte sur la paix et la durabilité, sans se laisser happer par les joutes de puissance. Si la session produit un texte ambitieux, Rabat pourra revendiquer une victoire diplomatique. Dans le cas contraire, le royaume aura néanmoins confirmé son statut d’interlocuteur incontournable dans une ère où la frontière entre territoire national et domaine extraterrestre n’a jamais été aussi floue.