L’écho d’une ambition continentale
Lorsque l’industriel nigérian Aliko Dangote affirme que « l’Afrique est sur le point de prendre conscience de son potentiel », le propos dépasse le registre de la motivation entrepreneuriale pour toucher à la diplomatie économique. La déclaration, publiée sur son compte LinkedIn, n’est pas un simple manifeste personnel : elle cristallise la conviction, partagée dans de nombreux cercles de décision, que la prochaine vague de croissance mondiale pourrait naître du continent. La démographie, les matières premières et l’appétence de la jeunesse pour l’innovation constituent, à ses yeux, un triptyque que nul partenaire international ne peut plus ignorer.
De Lagos à Pointe-Noire, un corridor d’industrialisation
Le Congo-Brazzaville observe avec attention la réussite de la méga-raffinerie du groupe Dangote, dont les 650 000 barils quotidiens redessinent déjà les flux énergétiques d’Afrique de l’Ouest et centrale. Brazzaville dispose pour sa part de champs pétroliers matures, d’un secteur gazier en expansion et d’une industrie cimentière en modernisation. La perspective d’intégrer cette chaîne de valeur régionale, plutôt que de demeurer un simple exportateur de brut, fait désormais partie des conversations stratégiques à la présidence, au ministère des Hydrocarbures et au sein de la CEMAC, où l’on voit poindre la possibilité d’un corridor Lagos-Pointe-Noire capable de mutualiser logistique, capitaux et savoir-faire.
Capital humain : la jeunesse congolaise comme levier
Au cœur du raisonnement de Dangote se trouve la jeunesse. Le Congo, dont près de 60 % de la population a moins de trente ans, partage ce défi-atout. Les autorités brazzavilloises multiplient les partenariats universitaires avec des écoles polytechniques régionales, tandis que le secteur privé mise sur l’apprentissage dual pour répondre aux besoins des mines, des cimenteries et du numérique. Les propos de l’industriel, selon lesquels « transformer localement, c’est construire une véritable souveraineté économique », font écho aux orientations du Plan national de développement 2022-2026, qui met l’accent sur la montée en gamme des compétences locales.
Faciliter les flux grâce aux accords régionaux
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) apparaît comme l’instrument privilégié pour donner corps à la vision de l’homme d’affaires. Le Congo figure parmi les États ayant ratifié l’accord et travaille, avec la Banque africaine de développement, à la mise en place de guichets uniques douaniers. L’objectif est de réduire les délais de transit entre le port autonome de Pointe-Noire et les marchés d’Afrique centrale, condition sine qua non pour que les intrants pétrochimiques raffinés ou les engrais produits au Nigeria irriguent l’hinterland sans surcoût logistique prohibitif.
Mobiliser des capitaux sans grever la souveraineté
L’appel de Dangote à « mobiliser des capitaux » heurte la réalité d’un coût du crédit souvent dissuasif. Brazzaville explore plusieurs pistes : émissions obligataires en monnaie locale, garanties régionales et recours sélectif aux partenariats public-privé. Les bailleurs multilatéraux, conscients de la nécessité d’éviter un sur-endettement, privilégient des instruments de partage de risques plutôt que des prêts concessionnels classiques. Dans cet environnement, l’investissement direct africain, incarné par le conglomérat Dangote, apparaît comme un vecteur de financement complémentaire et moins intrusif sur le plan souverain.
Des signaux encourageants émis par Brazzaville
Depuis deux ans, les autorités congolaises ont multiplié les réformes pour stabiliser le cadre macro-financier : adoption d’une nouvelle loi sur les partenariats industriels, alignement progressif de la fiscalité minière sur les standards communautaires et création d’un guichet numérique unique pour les démarches d’implantation. Ces mesures, saluées par plusieurs chambres de commerce régionales, s’inscrivent dans la logique évoquée par Dangote : « passer des paroles aux actes ». Elles visent à démontrer que le Congo-Brazzaville est prêt à accueillir des investissements transformateurs, sans renoncer au contrôle de ses chaînes de valeur.
Une perspective partagée, un impératif d’action
À l’échelle diplomatique, la convergence de vues entre l’homme d’affaires nigérian et les décideurs congolais nourrit une dynamique de coopération Sud-Sud. L’idée n’est plus d’attendre une hypothétique manne extérieure, mais de créer un marché africain interconnecté où les capitaux, la technologie et le capital humain circulent plus librement. Dans ce cadre, Brazzaville entend jouer un rôle d’interface entre le Golfe de Guinée et l’intérieur du continent. La lettre de Dangote, bien qu’adressée à l’ensemble de la jeunesse africaine, trouve donc un écho particulier sur les rives du fleuve Congo : elle rappelle que l’avenir économique du pays se jouera autant dans ses usines que dans la capacité de ses élites à traduire les exhortations en politiques publiques cohérentes.