De l’ingénierie pétrolière à l’artisanat gourmand
Lorsque Jessica Medza Allogo renonce en 2016 à une carrière de dix années dans l’industrie pétrolière, sa décision s’inscrit d’abord dans un questionnement identitaire. Ingénieure formée à Polytechnique Montréal, elle confie avoir voulu « contribuer à transformer son pays plutôt que d’accumuler des décennies d’expatriation lucrative ». L’étincelle naît d’un panier de mangues trop mûres auquel elle préfère la confiture au gaspillage. Six mois plus tard, son laboratoire culinaire installé à Port-Gentil devient l’embryon des « Petits Pots de l’Ogooué ». L’ancienne spécialiste de corrosion offshore transpose sa rigueur scientifique au contrôle microbiologique, à la traçabilité et à l’innovation gustative – de la mangue-vanille de Makokou au piment fumé d’Eboulou.
Une diversification économique inscrite dans l’Agenda Gabon Émergent
Le parcours de l’entrepreneure s’entrelace à la stratégie publique de dé-pétrolisation annoncée par Libreville dès 2010. La dépendance au brut – encore 38 % du PIB en 2023 selon la Banque mondiale – expose le pays aux chocs de prix. La transformation locale de produits agricoles, inscrite au Plan de relance 2021-2023, vise à porter la part de l’agro-industrie à 12 % du PIB d’ici 2025. L’essor des confitures haut de gamme, labellisées « made in Gabon », offre un cas d’école de montée en gamme : intégration de filières fruitières, réduction des importations de denrées sucrées et captation d’une valeur ajoutée historiquement expatriée.
L’écho d’une diplomatie culinaire : exportations et image de marque
En 2024, l’entrée des « Petits Pots de l’Ogooué » dans 250 magasins Monoprix en France, via la campagne « Bonne Arrivée » soutenue par Maison Château Rouge, dépasse la performance commerciale. Elle installe le Gabon sur la carte du soft power gustatif, à l’instar du café éthiopien ou du cacao ivoirien. Les confitures voyagent désormais vers l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Afrique australe. Pour les diplomates en poste, la marque devient un outil de narration positive : au salon SIAL de Paris, le stand gabonais attire investisseurs et journalistes séduits par un storytelling conjuguant biodiversité équatoriale et savoir-faire ancestral.
L’entrepreneuriat féminin, catalyseur de résilience sociale
Au-delà des balances commerciales, la dimension sociétale demeure centrale. L’entreprise emploie aujourd’hui vingt-quatre collaborateurs, dont 70 % de femmes issues de zones rurales. En contractualisant avec quinze coopératives fruitières, elle sécurise des débouchés et garantit un prix plancher, un modèle salué par le Programme alimentaire mondial comme « une digue contre l’exode rural ». La Chambre de commerce de Libreville souligne que 34 % des créations d’entreprises agroalimentaires en 2022 sont portées par des femmes, un indicateur de transformation silencieuse mais durable.
Vers une souveraineté alimentaire et environnementale
La démarche s’adosse enfin à une préoccupation écologique. En réutilisant des bocaux de mayonnaise lors de la phase d’amorçage, puis en adoptant des emballages recyclables certifiés FSC, la société s’inscrit dans la logique de l’économie circulaire, priorisée par la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Les partenariats noués avec l’Institut de Recherche en Écologie Tropicale de Makokou pour valoriser les mangues sauvages témoignent de la volonté de conjuguer conservation des forêts et chaînes de valeur locales. Le Fonds vert pour le climat, approché pour la future extension, y voit un projet pilote conciliant atténuation et adaptation.
Le défi de l’industrialisation sans renier l’artisanat
Le prochain saut d’échelle – une levée de fonds de deux millions d’euros négociée avec un fonds panafricain – posera toutefois l’éternel dilemme entre productivité et authenticité. Jessica Medza Allogo affirme vouloir « industrialiser la rigueur, pas le goût ». L’obtention de la certification ISO 22000, en cours, devrait rassurer les distributeurs tout en maintenant la signature artisanale. À terme, l’objectif annoncé est de transformer 1 500 tonnes de fruits par an et de doubler les revenus des agriculteurs partenaires. Pour les stratèges économiques gabonais, la trajectoire de cette PME rappelle que la diversification ne se décrète pas ; elle se construit sur des chaînes de confiance, de la plantation au rayon gourmet.
Une success-story, miroir des ambitions régionales
En définitive, l’itinéraire de la jeune cheffe d’entreprise dépasse la success-story individuelle. Il illustre la possibilité, pour les économies africaines fortement dépendantes des hydrocarbures, de se réinventer par la valeur ajoutée locale, l’innovation et l’exportation de produits culturels. Comme le résume un diplomate de l’Union africaine, « la confiture n’a peut-être pas la viscosité du pétrole, mais elle véhicule tout autant de puissance symbolique ». La diplomatie économique gabonaise, en quête d’alliés au-delà des majors pétrolières, y trouve un argument sucré, irrésistible et durable.