Brazzaville comme centre de gravité diplomatique
Au bord du fleuve Congo, la capitale congolaise a accueilli le 9 juillet la 7e session du comité des points focaux de l’intégration régionale. L’événement, présidé par le directeur de cabinet du ministre de l’Économie, du Plan et de l’Intégration régionale, Sylvain Lekaka, s’est imposé comme une plate-forme stratégique où experts techniques et diplomates ont confronté leurs diagnostics. « Il nous appartient d’identifier les passerelles entre les activités nationales et les grands projets intégrateurs afin que les retombées touchent concrètement nos populations », a rappelé M. Lekaka dans son allocution d’ouverture. Le ton était donné : privilégier l’efficacité sans céder à la rhétorique.
Les corridors 13, 5 et 29 sous la loupe technique
Le directeur général de l’Intégration régionale, Éric Mbéndé, a placé les infrastructures routières au premier rang des priorités. Les corridors 13 (Brazzaville-Bangui-N’Djamena), 5 (Brazzaville-Libreville) et 29 (Brazzaville-Yaoundé) constituent la charpente physique de la connectivité sous-régionale. Chacun est aujourd’hui engagé dans une deuxième phase d’exécution, encore partielle, dont les avancements doivent être précisément quantifiés. L’audit technique présenté en séance plénière souligne un taux moyen d’achèvement de 54 %, hétérogène selon les tronçons et la disponibilité des financements.
Dans le détail, le segment Nganga-Lingolo – Lékétí sur le corridor 5 affiche un retard de neuf mois, essentiellement attribué aux aléas climatiques et aux ajustements de tracé, tandis que la portion Sibiti – Komono du corridor 13 progresse à un rythme plus soutenu depuis la mobilisation, en avril, d’un financement additionnel de la Banque africaine de développement. Les ingénieurs recommandent désormais un suivi quinquennal assorti d’indicateurs de performance harmonisés entre États membres.
Coopération interministérielle : une mécanique à huiler
Au-delà du béton et de l’asphalte, la session a mis en exergue la dimension institutionnelle de l’intégration. Vingt-trois départements ministériels congolais sont impliqués, directement ou en appui, dans la mise en œuvre des projets intégrateurs relevant du Programme économique régional de la CEMAC, du Plan stratégique indicatif à moyen terme de la CEEAC et, plus largement, de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Cette constellation d’acteurs nécessite une coordination rigoureuse. « Nous devons mutualiser nos compétences pour maximiser la valeur ajoutée collective », a insisté Sylvain Lekaka.
Les travaux ont débouché sur la création d’un tableau de bord numérique commun qui centralisera les rapports trimestriels, simplifiera la circulation de l’information et réduira les doublons administratifs. À terme, cette plateforme devrait aussi héberger une base de données géospatiale permettant d’anticiper l’impact social et environnemental de chaque chantier.
Articulation avec l’Agenda 2063 et la Zone de libre-échange
Dans un contexte où la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) gagne en traction, les corridors routiers se profilent comme des catalyseurs logistiques. Les diplomates présents ont souligné que l’interconnexion des capitales d’Afrique centrale renforcera la compétitivité des ports atlantiques et facilitera l’acheminement des exportations vers les marchés d’Afrique australe et de l’Est. Cette dynamique épousera les objectifs de l’Agenda 2063, notamment l’aspiration 2 consacrée à l’intégration économique accélérée.
Les délégués ont également examiné le positionnement du Congo-Brazzaville en tant qu’État charnière. Grâce à sa façade fluviale et à la proximité du port de Pointe-Noire, le pays entend se profiler comme un hub de transit sécurisé pour les produits agro-industriels et miniers de la sous-région. L’approche, saluée par les observateurs, reste conditionnée à la modernisation des postes frontières et à la mise en place d’un guichet unique douanier.
Financements innovants et partenariats stratégiques
Le financement des infrastructures demeure le nœud gordien. Outre les concours classiques des bailleurs multilatéraux, la session a examiné des mécanismes innovants, dont les obligations vertes et les partenariats public-privé. Une mission conjointe CEMAC-CEEAC, attendue à Doha en octobre prochain, visera à capter l’intérêt des fonds souverains du Golfe pour la modernisation des segments routiers encore non bitumés.
Parallèlement, un accord de principe a été obtenu auprès d’un consortium d’opérateurs télécoms pour implanter de la fibre optique le long des tracés, réduisant ainsi les coûts d’expropriation et accroissant la viabilité économique des projets. Les autorités congolaises voient dans cette approche intégrée une façon de conjuguer connectivité physique et numérique, facteur d’attractivité pour les investisseurs privés.
Perspectives pour les populations et les investisseurs
Au plan social, l’impact potentiel est loin d’être négligeable. Les études conduites par la Commission économique pour l’Afrique estiment que la réduction de trente pour cent du temps de transit sur le corridor 13 pourrait, à elle seule, accroître de 1,2 point le PIB cumulé du Congo, du Tchad et de la République centrafricaine. Les communautés riveraines devraient bénéficier d’un meilleur accès aux marchés urbains, tandis que la baisse des coûts logistiques devrait soutenir le pouvoir d’achat.
Pour le secteur privé, l’horizon s’éclaircit. Les chambres de commerce de Brazzaville et de Douala planchent déjà sur un carnet d’opportunités couvrant l’agro-business, la maintenance d’équipements lourds et l’hôtellerie le long des futurs axes sécurisés. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale prévoit, pour sa part, un guichet spécial destiné aux PME locales, afin qu’elles deviennent fournisseurs attitrés des chantiers.
Un calendrier exigeant mais réalisable
Au terme des délibérations, le comité a fixé un échéancier resserré : validation des études d’impact environnemental d’ici décembre, mobilisation intégrale des cofinancements au plus tard en juin prochain, et livraison de plusieurs ponts stratégiques avant 2026. Les participants se sont quittés sur une note d’optimisme mesuré. « Nos ambitions sont élevées, mais elles demeurent à notre portée si nous gardons le cap sur la coopération et la rigueur », a conclu Éric Mbéndé.
En plaçant la barre haut, Brazzaville envoie un signal clair à ses partenaires : l’intégration régionale n’est pas une incantation, c’est un chantier concret qui s’étend de la planche à dessin aux kilomètres d’asphalte fraîchement posés. Le rendez-vous est pris pour la 8e session, appelée à faire le bilan des promesses tenues et, surtout, à ouvrir de nouveaux horizons pour une Afrique centrale toujours plus connectée et prospère.